Janvier 2005

Alésia à Alise-Sainte-Reine ?

 

 

A vous de voir...

Note du 9 février 2007 : j'avais laissé entendre initialement que la candidature d'Alaise pour Alésia était abandonnée, ne lui ayant pas trouvé de défenseur actuel. Or il y en a au moins un (voir ici).

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Thèse : Les fouilles de Stoffel, dans les années 1860, ont prouvé surabondamment qu'Alésia se trouve à Alise-Sainte-Reine (Côte-d'Or). Lire.  
Antithèse : Il est absolument impossible de situer Alésia à Alise, il y a beaucoup trop de discordances avec le texte très précis de César. Lire.  
Synthèse : Les fouilles de Stoffel ont été truquées... Lire.  



Vercingétorix jette ses armes devant César, tableau de L Royer (1888)

Voici d'abord l'avis on ne peut plus autorisé d'un spécialiste, Léopold-Albert Constans, dont la traduction du Commentarii de Bello Gallico reste la référence incontournable, à travers ses notes de bas de page :

La question du site d'Alesia a provoqué les controverses lus plus vives sous le second Empire. Elle est résolue aujourd'hui en faveur d'Alise-Sainte-Reine, à 10 kilomètres au nord-est de Semur (Côte-d'Or). Napoléon III y a fait exécuter des fouilles dont les résultats (cf Napoléon, p. 271 sq., et pl. 25 et 26) ont pleinement corroboré les conclusions que dictaient déjà l'onomastique, l'épigraphie (cf CIL, XIII, 2880 et p. 439), les évidences géographiques. La colline, c'est le plateau du Mont Auxois, à 418 mètres au-dessus du niveau de la mer, environ 160 mètres au-dessus de la plaine environnante. Au nord coule l'Ose, au sud l'Oserain, à l'ouest s'étend la plaine des Laumes. Les hauteurs environnantes sont la montagne de Flavigny, le Mont Pennevelle, la montagne de Bussy, le Mont Réa. (voir le plan). (note p. 262)

Nous avons des doutes sur l'identité du fossé ff découvert par Stoffel (Napoléon, p. 274, cf pl. 26) : il est presque constamment à plus de 400 pas de la contrevallation, et le profil en est singulier. Nous avons reporté sur notre plan, à titre documentaire, l'indication des vestiges mis à jour par les fouilles de 1861-65 ; mais nous pensons qu'une vérification générale de ces relevés ne serait pas sans profit. (note p. 263)

Il faut entendre par fossa interior le fossé le plus rapproché de la place. Des deux fossés parallèles découverts en 1861, celui-ci était à fond de cuve, l'autre triangulaire. (p264)

C'est la circonvalation. Les fouilles de Stoffel ont fait retrouver un seul fossé à 200 mètres en moyenne des fossés de la contrevallation ; il était à fond de cuve dans la plaine, presque partout ailleurs triangulaire. (p265)

Les fouilles de Stoffel ont fait retrouver sur la montagne de Bussy ds trous de loup creusés dans le roc (Napoléon, p276).

Ces fouilles ont également mis à jour un nombre impressionnant d'armes et de monnaies antiques (on peut en voir au musée de Saint-Germain-en-Laye), en relation avec les fossés. En outre la place s'appelait déjà Alesia (plus exactement Alisiia) dans l'antiquité, une borne l'indique clairement. On a même trouvé depuis une pierre de fronde marquée "T Labi", ce qu'on rapproche de Titus Labienus, lieutenant de César en Gaule et son futur adversaire de la guerre civile.

 

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Bon, alors, qu'est-ce qui cloche ? Voici :

  • L'ordre de marche des légions de César part du territoire des Lingons (alliés) pour traverser celui des Séquanes (neutres) et se réfugier (l'échec de Gergovie a entraîné une révolte quasi générale et il ne peut plus se maintenir dans le pays) dans la Provincia (au plus proche, la Savoie et le Dauphiné, chez les Allobroges, soumis à Rome depuis des décennies). Alise se trouve en pays éduen (devenu hostile) et pas du tout sur la route indiquée (d'ailleurs deux remarques de César indiquent formellement qu'Alesia n'est pas chez les Eduens).

  • Voici la description synthétique de la place par César : une colline escarpée de toutes part, impossible à prendre d'assaut (ce n'est pas du tout le cas du Mont Auxois), jouxtée de presque tous côtés par des hauteurs équivalentes et à très faible distance (à Alise, un bon kilomètre), dont elle est séparée par deux rivières qui en arrosent le pied même et donc coulent dans des gorges (à Alise, il y a plusieurs centaines de mètres entre ces ruisseaux et le pied de la montagne). Enfin, une plaine enclavée dans les montagnes, de 3000 pas (4,5kms) de longueur, bien moins en largeur puisque la cavalerie gauloise la remplira entièrement. Il y a bien une plaine en bordure du Mont Auxois, mais elle s'étend à l'infini (voir plan).

  • César écrit que les lignes d'investissement mesuraient 11000 pas, soit 16kms. Pour encercler le Mont Auxois à la base, le quart aurait suffi. Il est vrai que les fossés retrouvés par Stoffel sont à bonne distance du pied de la colline (un demi-kilomètre minimum). C'est totalement incompréhensible. Pressé par le temps (il savait qu'une armée de secours se levait), César devait établir ses lignes au plus près. De plus, il laisse gentiment aux assiégés l'accès aux deux ruisseaux, l'Ose et l'Oserain (il n'y a pratiquement pas de source sur le Mont Auxois). A Gergovie, César s'était efforcé de couper l'eau aux Gaulois, et il allait réussir à le faire à Uxellodunum. Nulle part il ne dit que l'eau a pu être un enjeu à Alesia.

  • Au nord de la montagne d'Alesia doit se trouver une autre montagne, également escarpée, assez pour que César puisse croire qu'on ne peut la franchir, et assez vaste pour ne pouvoir être englobée dans ses lignes extérieures. Il y établit un camp pour deux de ses légions et, pressé par le temps, on ne le fortifie pas sur le flanc adossé à la montagne, jugé inaccessible. Erreur, car l'armée gauloise de secours finira par découvrir un accès très caché et détourné, nécessitant plusieurs heures de marche nocturne, et effectuera là une percée qui manquera de peu emporter la décision. Scénario incompréhensible à Alise : les reliefs du nord-est et du nord-ouest (rien au nord) ne le permettent en aucun cas.

  • César, et d'autres auteurs antiques, disent que la place d'Alesia était ceinte de puissants remparts. On n'en a retrouvé aucune trace. Le Mont Auxois lui-même n'a livré que des restes gallo-romains, postérieurs donc à la bataille.

Il y a encore bien d'autres points qui ne collent pas (voir lien ci-après). Remarquons au passage que le nom gallo-romain d'Alisiia aurait dû peser non pas pour mais contre Alise. En effet, une place rasée pour avoir résisté à Rome pouvait renaître, mais en aucun cas sous le même nom. A la rigueur, si elle avait un passé prestigieux, elle le récupérait quelques siècles après, comme Corinthe ou Jérusalem.

On a bien trouvé des fossés dans la plaine des Laumes, mais bien trop loin pour représenter un dispositif d'investissement du Mont Auxois. Dans l'antiquité, cette plaine était marécageuse. C'est son nom même qui nous l'apprend ("laume", du latin "lima", marais). Si elle ne l'est plus, c'est qu'à une certaine époque on a éliminé les marécages. Cela se fait en creusant des fossés...

Signalons enfin que si les fouilles du dix-neuvième siècle ont été un plein succès, celles des années 1990 n'ont rien donné de consistant. Il est notamment incompréhensible qu'on n'ait pu localiser le fameux camp nord, qui a donc hébergé deux légions pendant plus d'un mois et vu des combats acharnés, sur quelques kilomètres, en plusieurs années de fouilles à très gros moyens.

 

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Jules Quicherat (1799-1884), professeur à l'Ecole des chartes, est souvent considéré comme le père de l'archéologie française.

En 1858 il a publié l'article Conclusion pour Alaise dans la question d'Alésia. Extrait :

On multiplie les voyages au Mont Auxois pour constater des découvertes d'antiquités gallo-romaines qui ne font rien à la question, pour en rapporter une broche de fer et de la monnaie gauloise qui fait rire les connaisseurs en numismatique, pour y découvrir, à une distance impossible, les vestiges d'une prétendue circonvallation répondant à une montagne dont la disposition est telle, que la sottise du général qui l'aurait investie de la sorte ne serait surpassée que par celle de l'ennemi qui s'y serait laissé enfermer...

En 1865, il a encore dressé un réquisitoire contre les fouilles de Stoffel. Extraits :

J'obtins la permission de soumettre à l'Académie des Inscriptions et belles-lettres un passage des Commentaires de César d'où il résulte qu'aucun fossé n'a jamais traversé la plaine qui régnait devant Alésia. Une réponse verbale et évasive, à laquelle je n'eus pas le droit répliquer sur le moment, fut la seule réponse que reçut ma communication (...).

Dans le même temps, M. le capitaine Bial, professeur à l'école d'artillerie de Besançon, après inspection des fouilles qui s'exécutaient sous Alise, démontra que les fossés découverts n'avaient pas de rapport avec ceux dont César se couvrit devant Alésia. Il ne lui fut pas répondu.

En 1862, M. Delacroix, le père de la question d'Alésia, dégagea du texte des Commentaires soixante-quatre conditions de topographie nécessaires pour fixer le site de la ville assiégée par César, et dont aucune ne convient à Alise-Sainte-Reine. Il ne lui fut pas répondu.

En 1863, M. Auguste Castan, rapportant devant la Société d'émulation du Doubs l'état des fouilles continuées autour d'Alise-Sainte-Reine, donna des preuves invincibles de l'âge postérieur auquel se rapportaient les ouvrages d'investissement, ainsi que les objets nouvellement découverts. Son rapport, publié et distribué dans le monde savant, ne reçut pas de réponse.

La même année, M. Léon Fallue dénonça, dans l'article de la Revue française que j'ai précédemment cité, le caractère mérovingien des armes apportées d'Alise. Il ne lui fut pas répondu (...).

Au fait, qui était Eugène Stoffel ? Avait-il des qualifications au moins équivalentes à celles de Jules Quicherat ? Il était officier (capitaine d'artillerie) et n'avait aucune qualification particulière en histoire ou archéologie. C'était avant tout un bon courtisan. Les fouilles d'Alise duraient depuis avril 1861 et ne donnaient rien de convainquant. C'est alors, en septembre 1862, que Napoléon III mécontent nomma Stoffel pour les diriger...

Stoffel a aussi imposé, selon les mêmes principes et la même rigueur, les sites "officiels" de Gergovie et Uxellodunum (les liens renvoient aux sites des associations contestataires).

Au fait (bis), où peut bien se trouver Alesia ? Jules Quicherat et bien d'autres soutenaient Alaise (Jura) qui a encore des partisans (voir site). Mais à partir de 1961 quelqu'un s'est avisé qu'un site, et un seul, correspond point par point à toutes les exigences du texte de César, et ce site a livré des restes fort intéressants (fossés, armes, etc.). Mais je préfère renvoyer à http://www.alesiajura.fr/alesiadujura.html/. Accessoirement, on y trouvera une réfutation plus détaillée d'Alise, et des découvertes alléguées des années 1990 (par exemple, la fameuse balle de fronde "T Labi" n'est pas aussi nette que cela, et ce qu'on présente comme un fossé de César est parfois à un kilomètre de ce qu'on présente comme la ligne que ce fossé est supposé compléter.

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