Le chevalier de la Barre
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Il paraît que le premier, Belleval, a été un temps amoureux de la tante du jeune homme, qui l'a éconduit sans ménagement. Quant au second, le juriste Duval, il aurait eu avec l'abbesse un différend d'ordre financier. Les faits allégués sont les suivants : 1) La Barre et quelques uns de ses amis n'ont pas ôté leurs chapeaux au passage d'une procession religieuse. 2) Leurs domestiques témoignent qu'ils les ont entendus chanter une chanson où Sainte Marie-Madeleine, la repentie de l'Évangile, est qualifiée de "putain". 3) Un christ en bois a été récemment mutilé, de nuit, sur la voie publique à Abbeville... On observe que des faits comparables (refus de saluer les processions, bris d'objets de piété considérés comme des idoles, mépris du culte des saints) ont été couramment reprochés, deux siècles plus tôt, aux Huguenots. Le chevalier reconnaît le premier point, et plaide l'étourderie. Il reconnaît aussi le deuxième, précise que lui et ses amis étaient ivres, ce que les témoins confirment. Mais aussi il démontre que la chanson incriminée ne parlait de Marie-Madeleine qu'avant sa conversion, et qu'elle était alors effectivement prostituée selon la tradition. Enfin, il nie toute implication dans l'affaire du Christ détérioré. Le tribunal ne retient que la chanson. Elle suffit à condamner le jeune homme, le 28 février 1766, à subir les questions ordinaire et extraordinaire (pour lui faire avouer les noms de ses "complices"), à avoir la main droite et la langue tranchées, enfin à être brûlé, vif et à petit feu. Même sentence, par contumace, contre son ami d'Etalonde, qui a pu s'enfuir en Suisse. La Barre fait aussitôt appel. Le procès en appel se tient à Paris, et fait du bruit. Une dizaine des meilleurs avocats du temps démontrent les vices de l'accusation, et soulignent que l'accusé était encore mineur au moment des faits. Le procureur général se prononce pour l'acquittement. Mais à une majorité de quinze voix contre dix, le jury confirme le premier verdict. Seul allégement, le condamné doit être décapité avant d'être brûlé. Mais il subit quand même la question, par les brodequins (les deux jambes sont broyées entre des planches de bois serrées par des coins de fer enfoncés à coups de masse). Il ne livre aucun nom. L'exécution
a lieu le premier juillet 1766. Le prêtre qui l'assiste, un
dominicain ami de la tante abbesse, pleure. Le chevalier, très
calme, le réconforte et lui conseille de manger un peu avec
lui : "Prenez un peu de nourriture. Vous aurez besoin de force
autant que moi pour soutenir le spectacle que je vais donner..." Le "spectacle", la jeunesse du condamné, son courage, provoquent une véritable émeute. Trop tard pour le sauver, mais les réactions n'en seront que plus vigoureuses. Les juges sont chassés de la ville à coups de pierres, les pièces du procès détruites. Voltaire s'empare de l'affaire. On ne pourra plus brûler personne en France pour cause de croyances religieuses non conformes. La Révolution réhabilitera solennellement le chevalier.
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