Nouvelles
Il
s'agit bien sûr de romans très courts.
Plutôt des
exercices au moins au départ (l'appétit vient en mangeant) et j'aimerais que l'on
s'intéressât à ceci.
Les textes sont indépendants. L'un d'entre eux raconte
quelque chose d'authentique. Les ajouts sont et seront en haut. Depuis fin juillet 2010 il y en a une autre page ici, avec d'autres plus orientés Histoire.
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Shiva et Maya
Mon métier consiste à me prêter, souvent
nue, aux fantaisies d’un homme ou d’une femme. Certaines de mes consœurs
admettent et assument une part de prostitution, pas moi, c’est de l’art,
seulement de l’art, lubriques s’abstenir. Je modèle pour photographes. Mode,
lingerie, nu, oui, porno, non. J’aime la complicité qui se noue avec le
photographe. J’aime ajouter mes idées aux siennes. J’aime commenter avec lui
les tirages successifs pour affiner peu à peu. Je ne me lasse pas de contempler
les réussites. Mais après le cauchemar, l’horreur d’hier,
j’ai envie d’arrêter. Je crois que je n’accepterai plus de nouveau client. J’ai
assez à faire avec les anciens. Beaucoup sont devenus des amis. Cédric en
particulier, je ne veux plus qu’il me paye et il persiste à vouloir me payer.
Pour lui je me suis mise nue dans la neige, nue sur une place publique
fréquentée, nue, surmontant ma répulsion, avec un gros serpent ondulant autour
de moi. Classique, cliché dans tous les sens du mot, mais ça plaît toujours. J’ai
pu me voir avec mon python sur la couverture d’un magazine huppé, je n’en suis
pas peu fière. C’est de là aussi que le drame est venu. Car
c’est à partir de là que Luc m’a contactée, il voulait justement me faire poser
avec son serpent à lui. Des échanges préliminaires par mail, il est ressorti qu’il
était correct quoique un peu étrange ; qu’il payait bien et proposait une
avance ; qu’il avait bien perçu la beauté fulgurante des images de
Cédric ; que pourtant ses connaissances et son expérience en photo et
esthétique étaient sommaires (mais je me flatte d’être bonne pédagogue). Quant
au partenaire reptilien, Shiva, Luc éludait toute question sur son espèce
précise. Sur les photos fournies, il me semblait voir une couleuvre (pupille
ronde, tête ovale avec larges écailles…), mais exotique (ces bandes larges et
sombres, pas chez nous). Enfin, il se laissait, et on le laissait, manipuler
par de jeunes enfants. Le plus étrange était la façon dont son maître en
parlait, le vénérait, lui prêtait d’incroyables pouvoirs. A se demander si
Shiva n’était pas le maître de Luc. Mon instinct me soufflait de refuser, mon
orgueil me poussait à accepter. L’orgueil a gagné, je m’en voudrai toujours.
C’était hier. Bob, mon mari, m’accompagnait, comme d’habitude avec un nouveau
client, qu’il n’y ait pas d’ambigüité
malsaine. A l’heure dite, nous arrivons tous deux
chez Luc, aimable quadragénaire dans une jolie petite maison. Nous passons dans
le jardin, joli jardin aussi, où tout doit se dérouler. Luc nous présente
religieusement Shiva. Je remarque que c’est un drôle de nom pour un serpent,
mais Luc me rappelle avec un sourire que Maya, moi, c’est l’illusion dans le
même contexte. Je voudrais lui proposer d’abord de me prendre seule, pour lui
inculquer quelques notions élémentaires, mais il entend me mettre Shiva sur les
bras. Je respire un bon coup, je veux le prendre en main, il se retire, ou Luc
le retire. – Il ne veut pas, fait Luc,
il ne faut surtout pas contraindre Shiva ! – C’est lui qui
commande ?? – Parles-en avec respect, malheureuse,
même si tu es Maya ! Il me vouvoyait jusque là. – S’il ne veut pas,
reprend-il plus calmement, j’honorerai mes engagements, tu auras la somme
convenue, mais on ne pourra rien faire… Et le voici qui s’adresse à
sa bestiole, une langue que je ne comprends pas, du sanskrit me souffle Bob qui
est une encyclopédie vivante pour ce qui touche l’Inde. Traduction, si je puis
dire, de Luc : – C’est ta robe qui ne lui
convient pas. – Pardon ?? – Malheureuse ! C’est
Shiva, c’est un dieu puissant ! Et n’est-ce pas ce qui était prévu ? Pas un problème
en soi, pour moi il devait s’agir de nu, j’ai enfilé distraitement ce qui se
présentait dans l’armoire. Mais même si c’était convenu il y a des façons plus
normales de demander à quelqu’un de se déshabiller. Enfin, sans plus de façon,
me voici dans ma tenue professionnelle favorite, dite communément d’Eve, sans
chercher à savoir si Shiva ne m’aurait pas appréciée en sous-vêtements.
Nouvelle tentative. Nouveau retrait du reptile. Nouveau « dialogue »
en sanskrit. – Il veut que tu t’allonges
à terre, il se placera sur toi. J’hésite, je regarde Bob qui
ne sait pas quoi dire, et puis je m’exécute, me voici sur le dos, dans l’herbe
rare. Luc pose solennellement sa bestiole juste à côté, et voici en effet que
Shiva escalade mon flanc, chatouille désagréable, s’installe mollement entre
poitrine et pubis. Nouvelle demande en sanskrit, et je suppose que le serpent
consent à la prise de vue car Luc se met à mitrailler en me tournant autour. Je
ne reçois pas d’autre directive, c’est déconcertant voire humiliant. Comment
placer mes bras et jambes ? Quelle tête faire ? Je suis plutôt fière
de mon registre d’expressions, rieuse, joyeuse, rêveuse, joueuse, curieuse,
enjôleuse, sérieuse, boudeuse, à la demande pour peu que demande il y ait. Mais
Shiva ne doit pas s’en soucier, lui garde toujours la même expression. Au bout
d’un long moment, je n’y tiens plus, je demande à voir les images. Luc se
penche et approche de mes yeux l’écran du réflex numérique. Shiva remplit à chaque
fois l’image, c’est sur lui que tout se règle. Pour ma part je me trouve floue,
moche, un sein à l’ombre et un autre au soleil et j’en passe. Ce n’est pas la
première fois que je me sens élément du décor plus que sujet principal, mais
d’habitude on me prévient honnêtement, et on me met quand même en valeur, on ne
coupe pas mon visage sur le nez. Le nu n’est pas un art facile, j’ai déjà connu
des séances décevantes, mais là je me sens bafouée. Tout ce qui compte, c’est
Shiva. Tant pis, pourvu qu’on me
paye après tout, et je ne ferai pas cadeau d’un centime. Je me désintéresse du
résultat, je regarde ailleurs, la tête du serpent qui vient me narguer entre
mes seins, la tête de Bob aussi perplexe que moi, j’attends que ça passe.
D’abord patiemment, et cela dure longtemps, et je ne sens aucune progression,
aucun signe d’une délivrance prochaine. Shiva est imperturbable. Enfin c’est
plus fort que moi : – On ne peut pas faire une
pause ? La demande est répercutée en
sanskrit, puis : – Shiva se trouve
bien ! C’est un honneur qu’il te fait ! – Merde ! Moi j’ai
envie de pisser, j’ai soif, j’ai un caillou qui me rentre dans
l’omoplate ! – N’irrite pas Shiva,
malheureuse ! Pour pisser, tu es nue, en-dessous c’est la terre, ne te
gêne pas. Pour boire, je te l’apporte de suite. Coca ? Jus de fruit ?
Panaché ? Café ? Le caillou… c’est certainement pour purifier ton
karma. Mais ne bouge pas, Shiva te l’interdit ! Je commence à me demander si
Shiva est bien une couleuvre. La panique me gagne, les larmes aussi. Bob se fâche
enfin : – Tu vas la libérer comme
elle te demande, sinon ça va très mal se passer !! – N’irrite pas Shiva !! – Enlève cette saloperie de
sur son ventre ou je m’en charge ! Tout va alors trop vite. Luc
obéit malgré tout, précipitamment, je perçois seulement qu’il saisit le reptile
n’importe comment, le replace dans sa caisse, la ferme. Et la voix de Bob,
paniqué : – Il t’a mordu, je l’ai vu… – Je vous ai dit de ne pas
l’irriter. C’est Shiva, un dieu terrible ! Si je n’avais pas agi, c’est
Maya qu’il aurait mordue. – Alors c’est un venimeux…
et tu ne le disais pas… – Aucun danger tant qu’on ne
l’irrite pas. Des enfants ont pu faire des nœuds avec lui. Mais vous l’avez
irrité. – Tu l’as bien
enfermé ? – Je l’ai mis à
l’abri ! – Il ne peut pas
sortir ? – Non. – Il faut peut-être faire
quelque chose, tu dois avoir un sérum adapté… – On ne doit pas s’opposer à
Shiva ! –C’est quoi comme
serpent ? – C’est Shiva… – L’espèce, enfin ? – Un bongare. Il l’a lâché à regrets,
comme si quelque part il trahissait son dieu. Ce nom ne me dit rien mais à Bob,
si, et il pousse un juron horrible. Il prend d’autorité les choses en main
pendant que je me rhabille. Il saisit son téléphone portable, appelle les
pompiers. Encore faut-il donner l’adresse qu’il n’a plus en tête, moi non plus,
et Luc se montre réticent. – De toute façon,
arrive-t-il à dire, ils ne pourront rien faire. Shiva a été offensé, quelqu’un
doit mourir. Estimez-vous heureux qu’il se contente de moi. – Ca ne te suffit pas de
crever, s’emporte mon mari, tu veux encore qu’on ait des ennuis à cause de… Luc est touché par
l’argument, il proteste qu’il ne nous veut que du bien, qu’il a déjà préparé la
somme convenue en liquide, que je peux la prendre dans le salon, et qu’il
aurait pu nous laisser mordre tous les deux. Oui, mais l’adresse ? Il
consent à donner le renseignement, que Bob répercute. Déjà, Luc respire plus
mal. Pourtant il sourit. Mon incollable époux m’explique à voix basse qu’une
morsure de bongare est indolore mais gravissime, qu’il ne faut pas perdre une
minute. |
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Le Maître du monde Je suis le Maître du monde. Non je ne suis pas le Président des Etats Unis,
c’est Barak Obama pour le moment, mais ce que je lui demande, il le fait. Je ne
suis pas non plus le Secrétaire Général de l’ONU, c’est Ban Ki Moon, mais lui
aussi est à ma botte. Ne cherchez pas qui je suis, vous ne le trouverez pas,
vous le saurez quand moi, je le jugerai bon. Surtout, ne riez pas, il est très
dangereux de rire du Maître du monde. Pourtant
il y a neuf mois, seulement neuf mois, j’étais une loque,
au bord
du licenciement par un patron mesquin et odieux, au bord du divorce
avec une
épouse aigrie, geignarde et bornée, au bord du suicide
pour tout dire, non
seulement il me tentait mais il me semblait en toute objectivité
le plus
raisonnable. Mais mon destin était fixé autrement.
J’étais prêt sans m’en
douter, c’est venu. Et donc au moment où je croyais
toucher le fond on m’a
donné la méthode, la voie, et celui qui m’y a
initié en est mort, c’est la
règle. Pour moi, j’ai autre chose à faire
qu’à initier quelqu’un d’autre, j’ai
le monde à gérer. Je suis à présent assez
puissant pour pouvoir la divulguer
sans crainte, celui qui se risquerait à suivre mes pas, à
supposer qu’il y
survive, je le saurais immédiatement, et je le
pulvériserais. Dans le principe,
c’est tout simple, il faut suivre ses rêves, et puis les
maîtriser, et puis s’en
servir. Mais celui qui voudrait me suivre, c’est lui qui mourrait. Premier
temps, apprendre à les retenir et les noter, quelques images
fugitives puis peu à peu des pages et des pages à chaque
nuit. Deuxième temps,
apprendre à se rendre compte que l’on rêve quand on
rêve. Au commencement, si
ce que je rêvais ne me convenait pas, je me frottais les yeux et
me réveillais.
Modeste début, mais prometteur. La suite, c’est parvenir
à contrôler le rêve, à
le dompter, à l’enfourcher comme un irrésistible
coursier. Si je vous disais,
si d’ailleurs les mots le permettaient, seulement le
dixième des épreuves
effroyables, des combats titanesques, que j’ai subis nuit
après nuit, vous ne
pourriez le supporter. Qu’on sache seulement que si je
n’avais pas abordé
correctement certaines situations ma femme aurait réellement
trouvé mon cadavre
à ses côtés au matin. C’est à ce
moment qu’elle m’a plaqué du reste. Je ne me
suis pas vengé d’elle autrement qu’en lui faisant
savoir quelles créatures de
rêve l’avaient remplacée, dans mes rêves puis
dans la réalité. Elle saura bien
se punir elle-même. Je suis magnanime. Enfin, j’ai triomphé. Première étape, outre la conquête des plus jolies
filles, gagner ma vie. Car c’est là aussi que mon patron m’a viré. Lui, je m’en
suis vengé, sans aucune pitié. Ma magnanimité a vu là ses limites. Cet escroc,
ce salaud, a tout ce qu’il mérite. Il est en prison, et pour longtemps. J’ai
aussi puni ceux qui s’étaient moqués de moi. Non pas que je sois susceptible ou
vindicatif, mais quelqu’un qui se moque d’un futur Maître du monde ne peut être
que malfaisant si on ne le reprend pas durement en mains. Donc, puisqu’il fallait vivre, je me faisais dicter par mes serviteurs oniriques
les chiffres du loto, en temps utile bien entendu, ce genre de choses. Beaucoup
en seraient restés là, je visais plus haut. Mes arrières étant très largement assurés
financièrement, je me suis fait dicter les plus grands chefs-d’œuvre. Si je le
voulais, le Prix Nobel m’échoirait quand je le voudrais, mais je n’en ai pas
besoin. J’aurais pu me faire dicter les équations ultimes des lois de la
matière, faire oublier Einstein. Mais je visais encore plus haut. Je me suis fait livrer de même les secrets les plus terribles et les plus
compromettants des vrais maîtres du monde, et la façon de les contacter et de
leur faire comprendre qu’ils devaient filer droit. Ces maîtres du monde, ce ne
sont pas ceux qu’on croit, je devrais dire qu’ils ne le sont plus puisque c’est
moi à présent, moi seul. Très peu de gens les connaissent, mais ne les enviez
pas parce qu’ils tremblent constamment. Je ne souhaite pas être davantage connu,
mes serviteurs oniriques m’ont aussi appris à dominer cette dérisoire vanité.
Mais sachez que si une guerre s’arrête quelque part dans le monde, c’est moi
qui l’arrête. Il m’arrive d’en déclencher aussi, non que je sois méchant mais
le monde a besoin, à dose modérée bien sûr, de conflits armés quelque part,
question d’équilibre. J’ai aussi appris les lois secrètes qui régissent ces
choses. |
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La cravate C’est
l’oncle de Sonia mais il ne
faut pas compter sur elle, elle le déteste. Tout le monde le
déteste, moi aussi
je le déteste, il est tellement prétentieux avec
sa richesse. Oui, mais quand
on lui fait des cadeaux, si minables qu’ils soient, il en
fait en retour. Il
faut bien qu’il le montre, qu’il est riche, et donc
ils sont magnifiques.
Enfin, magnifiques selon son goût et donc le plus souvent
affreux, mais assez
chers pour qu’on puisse les revendre cher. Allons, la
première chose qui se présente,
et je pourrai passer à la caisse… Aaaaah je ris ! Maudit
téléphone, il faut que je
change cette sonnerie, l’Air des
bijoux,
pour peu qu’on m’annonce quelque chose de triste,
ce sera encore pire. Il faut
que je mette un air triste à pleurer, l’Air
du Saule par exemple, et j’apprécierai
d’autant mieux une nouvelle joyeuse.
Allo ? Oui Sonia, mais je te l’ai dit trois fois que
j’ai pensé à
toi ! Quoi ? Tu crois que c’est encore le
moment de chercher des
épices pour tes plats ? Enfin, soit, tu as de la
chance, je ne suis pas
encore passé à la caisse, sinon… oui,
j’ai fini. Quoi ? Mais non, rien
pour l’oncle Albert, c’est ta famille, à
toi de voir ! Clic. Une cravate ! Mais
comment
peut-on proposer quelque chose d’aussi moche,
d’aussi mauvais goût ? Pas
chère, encore heureux. Une seule personne peut la
mériter, l’oncle Albert. Et
hop ! Dans le caddy ! Maintenant, ce maudit paprika,
comme si on ne
pouvait pas réveillonner sans paprika… Aaaaah
je ris ! Assommant !
Cela fait
rigoler autour de moi ! Et si je mettais plutôt Carmen, l’Air
des Remparts de
Séville ? Plus dynamisant…
Allo ! Maman ! Comment tu n’es
pas encore sortie de tes cadeaux ? Ma pauvre, ce doit
être la cohue !
Pour moi c’est fait depuis longtemps… Non maman,
tu auras la surprise comme tout
le monde ! Quoi ? Si c’est une bonne
idée, une maquette d’avion pour
Kevin ? Mais bien sûr, Maman,
n’hésite pas ! Tu ne devrais
même pas
demander, tu le connais, ton petit-fils ! Quoi
d’autre ? Oui, bien
sûr Maman ! Joyeux réveillon ! Clic. Bien
entendu, le rayon des épices
est très loin de celui du textile, et il faut vraiment se
faufiler. Mais cela
valait la peine de s’attarder, cette cravate, c’est
vraiment ce qu’il mérite,
l’oncle Albert ! Aaaaah je ris ! Non,
mais, il me faut vraiment
quelque chose à tout casser, tiens, la Chevauchée
des Valkyries, à la fois dynamisant, macabre et
joyeux, l’idéal !
Allo ? Mais oui Papa, Maman vient juste de me le
rappeler ! Joyeux
réveillon ! Clic. Voici
l’alimentation, encore plus
de monde, je ne suis pas au bout de mes peines. Ils ne savent donc pas,
ces
gens, qu’on n’attend pas le dernier moment pour
composer un réveillon ?
Zoé ! Quelle bonne surprise ! Toi aussi tu
as attendu qu’il y ait un
maximum d’embouteillage ? C’est cette
cravate qui te fait rire ? Elle
n’est pas pour moi, voyons ! D’ailleurs
m’as-tu souvent vu cravaté ?
La cravate, c’est comme l’imparfait du subjonctif,
c’est du passé. Non, c’est
pour un oncle complètement fou, et je trouve que lui,
ça lui va. Mais oui, même
rose avec des éléphants bleus ! Des
éléphants pour un amateur de
porcelaine, tu ne trouves pas que c’est subtil ?
Allez, bon réveillon à
toi ! Le
paprika aura été plus dur à
dénicher que la cravate, mais c’est fait.
J’ose espérer que Sonia ne va plus
rien réclamer. Dernière épreuve,
atteindre une caisse. Ce n’est pas
possible ! Toute la ville doit être ici !
Ah non ! Tous les
casse-pieds du bureau plutôt que lui ! Bonjour
Oncle Albert, alors vous aussi, le dernier moment pour
préparer
dignement ça ? C’est cette cravate qui
vous fait rire ? Mais elle
n’est pas pour moi, je vous rassure. Pardon ? Non,
franchement, Oncle
Albert, vous me faites de la peine ! Comment pourrais-je vous
destiner une
horreur pareille ? Je connais votre goût !
Non, c’est pour une espèce
de… je ne sais pas comment expliquer…
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Le
maître Je
pense toujours à lui, mais
pourquoi ? Je l’ai connu il y a quarante ans,
j’ai
largement oublié les
autres. Il a été mon prof d’anglais de
terminale,
mais, vu mon quatre au bac en
cette matière, let us forget. Il était
frère
mariste, rien d’extraordinaire
puisque j’étais au lycée
« chez les
frères ». D’où me
viens cette
obsession qu’il a peut-être
été, ou
manqué d’être, mon maître
quelque part, que,
de là où il est, il veille sur moi, ou se moque
gentiment
de moi ?
Serait-ce simplement parce qu’il était toujours de
bonne
humeur ? Un
exploit en soi car cette classe, école religieuse ou pas,
deux
ans après mai
68, était intenable, odieuse, dominée par un
noyau dur
particulièrement
pervers. J’ai souvent, depuis, été
confronté
à la drogue, invité à y
goûter,
mais plus jamais avec autant d’insistance vicieuse que
là.
Les profs
scientifiques s’en sortaient car c’était
une classe
scientifique et il y avait
le bac au bout, mais pour les littéraires
c’était
l’enfer, surtout la
malheureuse prof de philo qui ajoutait le handicap
d’être
une femme, la mixité
n’était pas encore là. Lui
prenait les chahuts avec le sourire,
et donc ils étaient moins rudes. Il s’amusait
beaucoup en se voyant invité, sur
l’air de Frère Jacques,
à
« sonner les matines à
poil ». Il émaillait ses cours de
digressions
audacieuses, surtout pour un religieux, allant
jusqu’à laisser entendre que
pour lui un certain Joseph avait dû donner au Saint-Esprit un
coup de pouce, ou
plutôt d’autre chose. On l’aimait bien.
Quant à moi, il me semble que je
l’aimais bien aussi, que je le trouvais sympathique, amusant,
reposant, mais
sans affection ni admiration ni fascination bien marquées.
Mais aussi,
qu’est-ce que je connaissais aux hommes en ce temps ? J’ai eu le bac, j’avais une vie à vivre, je n’ai plus pensé à lui pendant environ vingt-cinq ans. Et puis c’est le journal qui l’a rappelé à mon souvenir, et il y est resté. C’était bien lui en photo, son éternel sourire, seulement les cheveux plus clairs et plus rares. Il avait continué à enseigner au même endroit, ajoutant bénévolement l’organisation de séjours de langues. Et il s’était marié. Rien d’extraordinaire ni de dramatique pour un frère : ils font formellement au départ vœu de chasteté, vœu de pauvreté et vœu d’obéissance, mais s’ils souhaitent s’en dégager, pas de gros souci. Mais même pour un laïc enseignant pour le compte de l’Eglise, pour n’importe qui, il y a des règles. Il ne semble pas, et je crois encore moins, qu’il les ait transgressées, mais il n’en a pas moins buté dessus. Je n’ai pas tous les éléments, la nature humaine est souvent étrange, les limites de l’interdit ne sont pas toujours claires, mais lui, décidément, non, et pourtant... Je présume qu’il lui restait quelque chose de l’esprit soixante-huitard, qui n’était déjà plus de mise, et qu’on a pris pour de la lubricité perverse ce qui n’était que désinvolture souriante. Quoi qu’il en soit, parmi ses élèves, un ou une, je ne sais plus, l’a accusé de quelque chose d’inacceptable, de nature sexuelle. Il l’a nié. Un jour, il a reçu une lettre du tribunal. Il ne l’a pas ouverte, il s’est tué. Elle annonçait l’arrêt des poursuites, le non-lieu. |
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Le
Maître Il
fait beau, cela va donc se passer dans
le jardin de la villa. Quelqu’un fait remarquer que les
immeubles voisins
pourront profiter du spectacle. Arrive le Maître.
J’ai bien retenu les leçons
de Bruno, je lui baise la main à mon tour sans faire
d’histoire. Sarah ne
viendra pas. Le Maître explique solennellement
qu’elle est partie en mission
pour propager toujours plus loin la doctrine. Un ricanement discret me
signale
que cette version ne convainc pas tout le monde. Une certaine
Zoé, grande, forte,
annonce fièrement qu’elle peut remplacer Sarah,
porter la Parole. Elle porte
déjà l’ample et bizarre robe bleue de
la fonction. –
Sarah, souffle quelqu’un près de moi,
c’est autre chose ! –
Si tu viens pour te rincer l’œil, lui
répond sèchement mon cousin Bruno, tu peux
repartir. J’ai
du mal à suivre. Bruno m’a justement
trainé là en me laissant entendre avec un sourire
coquin que je pourrai me
« rincer
l’œil », que je ne devais pas
attacher d’importance à
l’habillage mystique ou ésotérique. A
présent, le voici particulièrement
sévère
et sérieux. A mon regard étonné, il se borne
à répondre que je viens pour la
première fois et que c'est autre chose. Tout
le monde étant supposé arrivé, le
Maître bénit les présents, se plaint
des absents. –
Non, un enterrement n’est pas une
excuse. Il faut laisser les morts enterrer leurs morts… oui,
c’est de Jésus,
mais à présent l’Évangile,
c’est ici, qui a des oreilles entende ! Le
Coran, c’est ici, ne le comprendront-ils pas ? Les
sutras, c’est ici, plus
d’autre refuge ! Enfin
il se calme, il laisse les plus zélés
venir lui montrer leur vénération. Il y en a une
qui ne s’approche pas, qui
cherche au contraire à se faire oublier, à se
cacher derrière les autres. C’est
vers elle qu’il va brusquement. –
Bénie sois-tu, Chloé ! Zoé
m’a dit
que tu sais déjà la Parole par
cœur ! –
Heu, Maître, c’était juste pour frimer,
je mémorise facilement les textes, je fais du
théâtre ! –
Excellent ! Tu vas donc porter la
Parole ce soir ! Petite
et menue, jupe en jeans et
tee-shirt on ne peut plus simples, la vingtaine, Chloé est
jolie à tous points
de vue. Bruno m’explique que c’est une amie de
Zoé, qu’elle vient pour la troisième
fois et que c’est un immense honneur qu’on lui
fait. Mais elle ne l’entend pas
ainsi, recule, se crispe, proteste : –
Ah Non Maître ! D’abord, Zoé
est
prête, elle est plus ancienne et plus
méritante ! Et elle en est tellement
heureuse ! –
Chloé, proteste
l’intéressée, ne me fais
pas honte ! Je serai aussi heureuse si c’est toi
puisque je t’ai amenée… –
Mais je n’ai même pas la tenue qu’il
faut ! On pourrait échanger mais ça ne
m’irait pas du tout… et toi, tu te
vois porter ma jupe ? Ce
serait impossible. Zoé ignore
l’argument, hausse le ton, parle d’ingratitude, du
monde à sauver. Le Maître interrompt : –
Sache, Zoé, que sont les meilleurs qui
commencent par résister ! Non, ne pleure pas, ne te
sous-estime pas non
plus. Crois-tu que je ne mesure pas le sacrifice que je
t’impose ? Sache
aussi que tu restes invitée ce soir comme toutes celles qui
portent la parole
avec moi puisque tu l’as accepté, avec
Chloé puisqu’elle va la porter. J’entends
insinuer derrière moi que si
Sarah est absente ce n’est pas pour diffuser la doctrine mais
parce qu’elle n’a
pas aimé les suites de cette invitation. –
Pour te témoigner encore plus ma
confiance et mon estime, reprend le Maître, c’est
toi qui vas diriger la
réunion pendant que je mettrai au point les
détails avec Chloé à
l’intérieur. Et
il entraine cette dernière, la prenant
carrément par le bras. Elle résiste une seconde,
mais un cri de son amie la
fait se soumettre. Zoé commence son sermon.
J’écoute mal car j’entends autre
chose. Juste derrière moi il y a une fenêtre
ouverte et la voix du Maître. –
Mais bien sûr, qu’ils sont venus par
voyeurisme, crois-tu que je sois dupe ? Ils sont venus,
c’est ce qui
compte. Et toi, au début, ne me dis pas que tu regardais
ailleurs, les filles y
sont les plus sensibles quoi qu’on dise… la
première fois on vient par
voyeurisme, après on comprend. Je
n’écoute décidément plus
Zoé expliquer
comment la Parole va amener la paix et guérir le cancer. Le
Maître : –
Non, ne pense plus à la robe habituelle,
ta tenue présente est parfaite. Il reste donc à
voir comment tu vas l’enlever.
Voyons, soulève ta jupe… j’ai dit,
soulève ta jupe… plus haut que
ça ! Bien,
maintenant, soulève ton tee-shirt… plus
haut ! Très bien. Donc le
soutien-gorge va rester ici, tu peux déjà
l’enlever. Allons, enlève-le !
Maintenant, j’explique, ne bouge pas, tu feras
après et on peaufinera les
détails. Pour commencer, les chaussures que tu dois pouvoir
retirer sans l’aide
des mains. Alors tu avanceras d’un pas. Ce que tu laisses, tu
le laisses
derrière. Tu regarderas vers l’assistance, tu lui
offriras ton regard, sans
fixer personne en particulier. Tu enlèveras ton tee-shirt,
simplement, tu le
jetteras derrière toi… –
Ça, ça me gêne, Maître. Ma
maman m’a
appris à respecter les vêtements que
j’enlève, à les plier, même
si c’est pour
faire l’amour que je les enlève ! Et mon
petit ami s’y est mis
aussi ! –
Ici plus rien ne compte que la Parole,
le salut du monde ! Tu attendras deux-trois secondes, tu
laisseras
l’assistance méditer sur ta poitrine qui porte
aussi la Parole. Tu dois pouvoir
laisser tomber cette jupe sans avoir à te baisser. Tu vas
t’en dégager d’un pas
décidé, toujours en avant. Pour la petite
culotte, sans plus attendre, là oui
tu vas te baisser, la saisir des deux côté, sans
trop plier le genou, en la
poussant jusqu’à terre, et quand elle atteindra le
sol tu resteras ainsi une
seconde ou deux, on découvrira ton dos qui porte aussi la
parole… –
Et mes fesses… –
Elles aussi portent la… Chloé ! Je me sens soudain bousculé sans ménagement. Chloé a sauté par la fenêtre, elle s’enfuit. Et moi aussi, et d’autres. Tant pis pour le salut du monde.
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D’outre-tombe On
me l’avait dit, je me refusais à le
croire. Mais elle-même me le confirme à
présent. Ma cousine Betty, veuve
inconsolée depuis un an, reçoit des messages de
Bruno, son défunt mari. Elle a
engagé pour cela un spécialiste du channeling, ou
transcommunication. C’est la
version high-tech du spiritisme, avec des circuits
électroniques qui remplacent
le guéridon ou le verre traditionnels. Et c’est
gratuit, elle insiste là-dessus.
Je reste quand même pour le moins sceptique, mais est-il
judicieux de le lui
dire ? Et voici qu’elle m’invite
à y assister, c’est déjà la
troisième
séance. Comment refuser ? Nous
sommes une dizaine dans son salon,
âgés de vingt à soixante ans. Nous nous
connaissons peu les uns les autres,
donc nous nous présentons, le tutoiement et les
prénoms s’imposent je ne sais
comment. J’apprends qu’à la
précédente séance la voix a
refusé certaines
personnes, des esprits forts, dont un oncle qui est aussi le mien. Je
me
promets de lui en parler. Dans un coin,
l’opérateur bénévole
règle fébrilement
son étrange équipement couvert de
câbles et d’antennes. Je me demande encore
comment cela peut fonctionner quand tout commence, sifflement,
crépitements, et
puis une voix. Et je me vois contraint, non sans terreur,
d’admettre qu’elle
ressemble beaucoup, beaucoup, à celle de mon
défunt cousin. –
Soyez bénis, toutes et tous, vous êtes
ma famille désormais ! Personne
n’est donc éconduit aujourd’hui. –
Et toi surtout, Betty chérie ! Tu
vas bientôt me retrouver ! Non, tu ne vas pas mourir
avant de nombreuses
années, tu as encore beaucoup de tâches
à accomplir. C’est moi qui vais
renaître, tu ne seras plus mon épouse mais en
quelque sorte ma marraine.
Écoutez bien, ma famille, je ne pourrai pas le
répéter, le temps est compté ici
aussi, d’une autre façon. C’est mon
dernier message personnel sous cette forme.
Attention ! Ne reculez plus ! C’est pour
avoir refusé le même genre
de mission que je suis mort avant l’âge et dans la
souffrance. Regardez-vous
les uns les autres, vous apprendrez à vous
connaître, à vous fréquenter,
à vous
aimer. Pour moi, je vais me réincarner, j’ai
encore une mission sur terre, et cette
mission vous impliquera, toutes et tous ici, ma famille ! Il y
a parmi
vous celle qui sera ma mère et celui qui sera mon
père. Dès que j’aurai fini de
parler, ils devront faire le nécessaire pour
m’accueillir, donc d’abord faire
l’amour, tout de suite, je ne peux attendre ! Elle
s’appelle Hélène, il
s’appelle Guillaume. Ils seront désormais unis et
même la mort ne les séparera
pas, vous voyez bien qu’elle a ses limites. Et vous aussi,
toutes et tous, vous
devrez être unis pour les aider, pour m’aider, car
capitale est la mission qui
m’attend. Soyez bénis encore une fois toutes et
tous, et surtout ne vous
détournez pas ! J’ai fini ! Terrible
silence. Ma cousine est blême. –
Mais enfin, s’exclame quelqu’un, il n’y
a parmi nous aucune Hélène ni aucun
Guillaume ! Laura,
la plus jeune, une étudiante
timide, attendrissante, mignonne, éclate en sanglots. –
Hélène, c’est mon deuxième
prénom !
Figurez-vous qu’il y a dix jours mon petit ami m’a
rejetée, d’un seul coup, et
j’en ai été tellement meurtrie et
dégoûtée et
déboussolée que
j’ai oublié
depuis de prendre la pilule… Et
Loïc, guère plus âgé, et aussi
en
larmes : –
Guillaume, c’est mon deuxième
prénom ! Hélène, je veux dire
Laura, j’ai fait ta connaissance ici il y a
une heure mais, depuis le premier regard, je suis amoureux dingue de
toi. Seulement
je n’aurais jamais pu te le dire autrement parce que je suis
complètement
coincé avec les filles ! Et
de se rapprocher l’un de l’autre d’un
pas incertain, et de se tourner vers la maîtresse de maison.
Cette dernière
pleure encore plus bruyamment mais réussit à dire
que la chambre d’amis est
prête et à leur disposition. Ils ne se font pas
prier, plus de timidité. Déjà
enlacés ils prennent la direction indiquée. Betty
décide d’emmener tous les
autres dans le jardin pour laisser la maison entière aux
nouveaux fiancés. Là, elle
n’en finit plus de remercier le spécialiste. Dans
un autre recoin, quelqu’un
s’étonne : –
D’habitude, dans ces cas, on peut poser
des questions et l’entité y répond. –
Pourtant, dis-je encore bouleversé, ça
ressemblait bien à la voix de Bruno. Et
« toutes et tous », par
exemple, c’était bien une de ses expressions. D’autres
confirment. –
La dernière fois, affirme un ancien
collègue du défunt, il a dit sur
lui-même des choses que je savais, mais que
même Betty ne devait pas savoir. C’est
très impressionnant. Faut-il
s’incliner ? Une dame d’un
certain âge, à l’œil sec,
explique : –
Je suis ouverte en général à ce genre
d’histoires, je me mêle de spiritisme et
c’est pourquoi je suis avec vous. J’ai
parfois vu des choses vraiment troublantes. Elle
hésite un instant, et puis elle se
décide, à mi-voix. –
Là, je sais que c’est bidon. Et
malhonnête. Le plus dur sera de l’expliquer
à la pauvre Betty. –
Mais alors, objecte-t-on, la voix, les
allusions… et comment le sais-tu ? – D’abord, je sais que le type s’est fait remettre toutes les vidéos disponibles montrant le défunt, son courrier aussi, il prétendait que ça aide à établir le contact. Car il y a eu trois mois de tentatives avant d’« aboutir », et à chaque fois il demandait à Betty, et à d’autres, de nouvelles précisions pour « aider ». Surtout, je les ai vus hier par hasard, les trois, l’opérateur et les deux « fiancés », qui se concertaient, bien avant donc d’arriver ici et de prétendument faire connaissance. Je n’y ai pas prêté attention sur le moment mais à présent je suis sûre. Attendons-nous à apprendre que les deux tourtereaux n’ont pas le sou, qu’ils ne sont pas prêts matériellement à élever un enfant, et que nous, la « famille », devrons subvenir, peut-être aussi qu’il y a une nouvelle doctrine religieuse à la clé…
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BA Je
suis Attila et Goebbels, et
Néron aussi, et Landru. Non, j’exagère,
Gisèle n’a pas dit ça,
d’ailleurs elle
est nulle en histoire. Mais qu’est-ce que j’ai
pris ! Nos scènes de ménage
s’entendent de loin. Je ne fais rien et je le fais mal. Non,
ça non plus, elle
n’a aucun humour. Je n’ai pas de cœur,
ça oui… enfin, c’est elle qui
l’a dit.
Je n’aurai même pas une BA pour me racheter comme
le Sultan Mourad de Victor
Hugo. Elle n’a aucune culture, seulement je l’avais
récemment placé dans une
conversation de salon, pas spécialement pour elle. Ce sultan
donc,
effroyablement méchant, a fait périr avec plus ou
moins de raffinement son
père, son oncle, ses huit frères, un de ses fils,
et beaucoup d’autres gens et
même des villes et des régions
entières… Il fit un tel carnage avec son cimeterre Ah
si ! Un escargot !
Un kamikaze qui va rencontrer une mort sans aucune gloire, il
s’est engagé sur
la chaussée. Alors mon petit, on est fatigué de
vivre ? Mais c’était
compter sans moi, je vais te sauver que cela te plaise ou non. Je le
saisis
délicatement par la coquille, bien pratique cette coquille,
pourrais-je sauver
une limace ? Un scout pas très
zélé dirait qu’il a accompli sa BA du
jour.
Voici donc que j’ai sauvé une vie. Qui sauve une
vie sauve toutes les vies,
disent à peu près le Talmud et le Coran. Et
c’est justement ainsi que Mourad,
selon le père Hugo, a in extremis
évité l’enfer, une ultime bonne action
après une vie d’horreurs, et c’est
précisément de ce genre de bonne action que
Gisèle me prétend incapable. Ce
gastéropode
lui clouera le bec quand elle aussi arrivera au Paradis et
prétendra reprendre
son réquisitoire. J’exagère, quand je
rentrerai dans une demi-heure elle sera
tout sourire, comme si rien ne s’était
passé, comme d’habitude. Mais j’aurai
sauvé une vie quand même, aussi bien que Mourad ne
lui déplaise. Car
Mourad, dans le poème, tout à
la fin, a eu de même pitié d’un
malheureux cochon moribond, déjà
égorgé, en passe
d’être écorché, sous un
soleil implacable. Le terrible Sultan l’a donc,
distraitement, poussé jusqu’à
l’ombre, et l’animal, furtivement, l’a
aperçu,
après quoi, Son regard se perdit dans l’immense
mystère. Et
Mourad meurt peu après le
pourceau sans avoir eu le temps d’accomplir d’autre
carnage, et voici qu’au
paradis retentissent les plaintes innombrables de ses victimes, Pendant aux pals, cloués aux croix, nus
sur les claies, Ils
avaient de plus sérieuses
raisons de râler que Gisèle, eux ! Or, il
advint que : Du côté du pourceau la balance
pencha. Et
donc on lui dit : Viens ! tu fus bon un jour, sois
à jamais heureux. Bien,
mais je n’ai pas à le
garder avec moi, ce mollusque, ce n’est pas le but. Un
arbuste, bien feuillu,
sans épines, ce sera parfait, juste un mètre
à parcourir dans l’herbe. Le
paradis est vraiment très accessible. Un craquement sous mes pieds. C’est, enfin c’était, un autre escargot. |
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Katia Une
demi-heure en bavardages stérile, une autre demi-heure
pendant laquelle
les partisans de Katia, tu t’en vas
sur l’air de Capri c’est
fini en sont
quasiment venus aux mains avec ceux de Tu
t’rappel’ras Katia sur l’air de
Rappelle-toi,
Barbara. On retrouve les deux clans qui divisent le service.
Et donc même
pour marquer dignement le départ d’une des
nôtres l’ambiance n’est pas sereine.
Elle ne l’a jamais été, et ce sera pire
sans Katia. Et puis on
prend enfin en considération ce que j’essaie de
dire depuis le début, qu’il
faudrait tenir compte des origines russes fièrement
assumées de notre collègue,
qui leur doit d’ailleurs son prénom. Un dernier et
bref accrochage entre
partisans de Kalinka et de Plaine, ma plaine, je propose
plutôt Katioucha. Ce
titre ne leur dit pas
grand-chose. Je siffle l’air. Rika Zaraï
étant passée par là, cette fois ils
connaissent, ils tombent d’accord. Ce sera, à
l’unanimité inespérée, Casatschok. Et en moins de temps
qu’il
n’en faut pour le dire je me trouve chargé seul de
mettre au point les paroles.
Ce fonctionnement est décidément
étrange. Enfin, au travail, pour Katia. Pour
moi c’est bien de Katioucha,
l’original russe, qu’il s’agit. Ils ne
savent pas, mais Katia sait et cela
suffit, que c’est le même prénom. Les
Russes ont fait de Yékatérina Katia puis
Katioucha, comme les Espagnols ont fait de Dolores Lola puis Lolita. La
mièvre
version française avec son hiver qui frappe à la
porte, comme elle dit, que le
Diable l’emporte ! Une
autre adaptation plus proche de l’original dit : Vole au vent, vole chanson
légère, Vers
celui qui au loin s’en alla... Premier vers
inchangé, deuxième : Pour
Katia, qui au loin s’en ira. Il
faudra affiner mais cela permet de lancer. Oui, mais après
tout se complique,
il faut une rime en ère, et que
l’émotion atteigne son sommet, qu’on
touche
aussi à l’essentiel. Dans la chanson russe, en
accord avec la mélodie, c’est au
troisième vers du premier couplet qu’on annonce le
nom de l’héroïne, au
troisième vers du deuxième couplet
qu’on apprend qu’elle est amoureuse, au
troisième vers du troisième couplet
qu’on apprend que son amour est très loin. Pour bosser, t’étais pas la
dernière…
Non, ridicule. On t’a fait un
sal’coup
par derrière. Ridicule aussi, mais il y a quelque
chose. Katia se trouve
mutée contre son gré, brutalement, pour des
raisons peu claires. Et le rappeler
discrètement entre dans mon cahier des charges. Tu t’en vas, c’est la faute
à Voltaire. Voltaire et Rousseau sont
les surnoms de deux de nos chers directeurs. Mais je ne sais pas
vraiment qui a
manigancé quoi en l’occurrence, et puis
c’est encore trop direct, trop facile
aussi. La chanson devrait me guider. Elle est stalinienne, il est bien
dit que
l’amour de la tendre kolkhozienne pour son soldat est
subordonné à l’accomplissement
par ce dernier de son devoir envers la patrie soviétique.
Mais c’est glissé en
douceur. Il n’est surtout pas asséné
que s’il n’est pas assez valeureux ce sera niet. On joue avec les
subtilités de
la conjugaison russe.
C’est justement Katia qui m’a initié
à ces subtilités, à propos de tout
autre
chose, car elle a aussi réveillé mon
intérêt pour la langue et la culture russes.
Je devrais pouvoir être aussi subtil. |
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Primates
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