15 février 2002 

Racisme anti-introverti ?  

Une question...

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Un jour, un de mes collègues s'est indigné de trouver le mot "introverti", qu'il jugeait péjoratif, dans l'appréciation par ailleurs positive d'un autre collègue par ses supérieurs. Je lui ai expliqué son erreur. Mais elle est très répandue chez nous, où l'extraversion tend à dominer (en Chine ou au Japon, c'est le contraire, le racisme est dans l'autre sens, il ne fait pas bon être trop expansif).

Petit rappel basique : les notions d'extraversion et introversion ont été introduites dans la psychologie moderne par Carl-Gustav Jung, qui se tenait lui-même pour introverti et n'en éprouvait aucun complexe (bien qu'il ait aussi lancé le concept de complexe, repris par Freud et Adler). Les définitions :

  • introversion : orientation de la libido vers la subjectivité, l'intérêt ne va pas vers l'objet mais vers l'intérêt que lui reconnaît le sujet...
  • extraversion : orientation de la libido vers le dehors. C'est l'objet qui joue le rôle décisif...

(André Virel, Dictionnaire de psychologie, Marabout).

Une personne extravertie privilégie la sociabilité, une personne introvertie la responsabilité. Un vendeur a tout intérêt à être extraverti, un expert a tout intérêt à être introverti. L'excès d'extraversion donne l'hystérie. L'excès d'introversion donne la névrose obsessionnelle. Il est absurde d'accorder à l'une ou l'autre une supériorité intrinsèque globale. Le monde serait fort triste sans les extravertis, et marcherait bien plus mal encore sans les introvertis. Et pourtant certaines histoires montrent à quel point il ne fait pas bon être introverti(e) chez nous. Voici deux histoires, très différentes, qui l'illustrent.

Affaire Aimé Jacquet Affaire Patrick Dils

 

 

 

Affaire Aimé Jacquet

On sait que l'entraîneur et sélectionneur de l'équipe de France de football victorieuse de la Coupe du Monde 1998 a longtemps été victime d'une cabale, venue en particulier du journal L'Equipe et des Guignols de l'Info, cabale qui a fini par sombrer dans le ridicule. On reprochait au malheureux Jacquet de manquer de prestance, de charisme, de ne pas savoir convaincre, bref, d'être un piètre meneur. Raisonnement typiquement extraverti, oubliant que cela n'empêchait pas un travail en profondeur mené avec rigueur et compétence, valeurs introverties. En outre, on déplorait le style trop défensif et donc ennuyeux de cette équipe, oubliant que dans le sport comme ailleurs, pour un groupe comme pour un individu, il faut apprendre à se défendre avant d'apprendre à attaquer. La vision à long terme n'est pas une valeur extravertie. Et donc on se gaussait on ne peut plus ouvertement et grossièrement de lui, de ses entêtements, de ses maladresses face aux médias, de son accent forézien. Il ne s'agissait pas de dénigrer en bloc le "sport-spectacle" mais bien un homme qui ne satisfaisait pas aux critères de l'extraversion.

Soit dit en passant, d'autres avaient vu plus clair bien plus tôt. J'affirme avoir entendu l'anecdote suivante avant que Jacquet ne se distingue comme entraîneur. Alors qu'il était joueur à l'AS St Etienne, un journaliste lança à un dirigeant du club, en substance : "Ce Jacquet, il n'est pas vraiment mauvais, mais enfin, ne me dites pas que c'est un grand joueur... - C'est juste, ce n'est pas un grand joueur, répondit le dirigeant, mais ce sera un très grand entraîneur..."

Pourtant les railleurs ont persisté, même après la coupe d'Europe de 1996, où la France a figuré dans le dernier carré, départagé uniquement aux tirs aux buts, même encore quelques jours avant le triomphe de la finale de 1998.

Et le "je ne pardonnerai jamais" de l'intéressé au soir même de ce triomphe n'a pas fini de retentir. Les introvertis savent parfois être éloquents.

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Affaire Patrick Dils

Un tout autre registre, autrement plus sombre, dramatique. J'ai résumé cette affaire ailleurs. Le point important ici est qu'au moins d'après ce qui a filtré du procès de Lyon, en juin 2001, tout se passe comme si l'accusé avait été condamné, au moins en partie, sur son introversion. On lui reprochait d'avoir paru, sauf en de rares occasions, indifférent, en retrait... bref, introverti. Et même ses défenseurs, qui n'ont cessé d'annoncer qu'il allait enfin réagir, dont l'un a fort maladroitement qualifié son client d'"énigme", s'y sont lamentablement prêtés. On connaît l'issue, nouvelle condamnation à 25 ans à la surprise générale et malgré un dossier qui paraissait en béton (incompatibilité du crime avec son emploi du temps, et présence prouvée sur les lieux du crime d'un tueur en série). Et le coup de tonnerre qui a suivi, l'annonce dès le lendemain qu'il faisait appel, au risque de compromettre et en tout cas retarder une libération qui semblait malgré tout prochaine par le jeu des remises.

Par contraste, l'extraverti Francis Heaulme, dont on n'arrive pas à comprendre comment il pourrait être innocent du double meurtre imputé à Dils, n'aurait eu que peu de mal à paraître convaincu.

Ce qui précède n'exclut pas qu'un extraverti puisse être jugé par des introvertis prétentieux, grandiloquent, superficiel, hystérique, donc coupable. Mais c'est un peu moins probable au moins chez nous.

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