Michel Servet
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C'est dans ce domaine qu'il apporte sa contribution majeure, en découvrant la "petite circulation" du sang, entre le coeur et les poumons. Mais, pour son malheur, il reste passionné par la théologie. Et par une sorte d'idée fixe. Le dogme de la Trinité est pour lui une erreur totale, et funeste. Son principal argument : l'Évangile ignore totalement cette notion, qui n'a été imposée qu'en 325 au concile de Nicée. Beaucoup pensent que ce rejet de la Trinité par Servet vient d'un souci de rapprocher le Christianisme de l'Islam et du Judaïsme, qui refusent aussi vigoureusement ce concept. Mais si tel est le cas, Servet se rétractera au moins sur ce point lors de son procès. Quand on l'attaquera précisément sur le fait qu'il ose se référer au Coran, il soutiendra que le Coran est globalement mauvais, sauf quand il dit du bien de Jésus. Ce besoin éperdu de revenir
à l'Église d'avant Nicée a peut-être une
autre source. Avant même d'être personnellement poursuivi,
Servet a protesté contre la répression des mal-pensants.
Il a écrit : " Il est grave de tuer un homme pour les idées
qu'il professe en matière de religion... " Autant qu'on
sache, l'Église d'avant Nicée ne tuait pas ses dissidents,
pourtant nombreux et parfois extravagants. De là à penser
que c'est ce concile qui a ouvert la voie aux répressions sanglantes,
il y a un pas, que le médecin semble avoir franchi. Il a publié, clandestinement et à compte d'auteur, plusieurs ouvrages sur la Trinité dès 1531. Et en 1553, un gros volume intitulé La restitution du Christianisme. Mais il ne cherche pas à convertir les foules. Il envoie des exemplaires de son oeuvre à une poignée de Protestants éminents, dont il espère le soutien. Parmi eux, Jean Calvin. Tous le rejettent. En février 1553, il est dénoncé à l'Inquisition. Il ne saura que plus tard, trop tard, que le coup est venu de Genève, et plus précisément de l'entourage de Calvin. Servet réside à Vienne depuis douze ans. Ce marginal, étranger de surcroît, est bien intégré. Il a soigné et guéri beaucoup de monde et compte de bons amis bien placés. Prévenu à temps, il peut faire disparaître tout document compromettant, ce qui ne l'empêche pas d'être arrêté. Les inquisiteurs demandent à Genève un complément d'information. On leur envoie non seulement La Restitution du Christianisme mais des lettre personnelles de l'imprudent médecin à Jean Calvin ! Bref, l'Inquisition coopère sans complexe avec des gens qu'elle brûlerait s'ils tombaient entre ses mains. Le 7 avril, Servet s'évade (là encore, il semble que ses relations lui aient sinon facilité directement sa fuite, du moins assuré des conditions de détention peu sévères qui l'ont aidé à s'échapper). L'Inquisition ne brûlera que son effigie et son livre. On ignore ce que le fugitif devient jusqu'au 13 août de la même année, où il est arrêté à Genève. À son tour, échange de bons procédés, l'Inquisition envoie les pièces utiles à l'accusation. Bientôt c'est Calvin lui-même
qui conduit les interrogatoires. Il ne fait pas dans le subtil. L'accusé
soutenant que Dieu est en tout, il rétorque : "Comment,
pauvre homme, si quelqu'un frappe ce pavé-ci avec le pied, et
qu'il dit qu'il foule ton Dieu, n'aurais-tu point horreur d'avoir assujetti
la majesté de Dieu à tel opprobre ?" Servet tombe dans d'autres pièges encore. Cet homme aux intuitions géniales manque de rigueur. Il s'est appuyé sur les écrits d'un certain Père de L'Église pour rejeter la Trinité. Calvin fait apporter un volume des oeuvres dudit Père, en grec, pour soutenir le contraire. Servet, mal à l'aise, affecte d'ignorer le grec (qu'il connaît bien). Calvin aussitôt le foudroie : comment alors a-t-il pu oser invoquer un texte qu'il ne peut lire et qui n'a jamais été traduit en latin ni en une autre langue ? La première des quatre requêtes de Servet au tribunal ne manquait pas d'allure. " (...) C'est une nouvelle invention ignorée des Apôtres et disciples de l'Église ancienne, de faire partie criminelle pour les doctrines de l'Écriture ou pour question procédant de celle-ci... " Il y demandait également un avocat, ce qu'on lui a refusé au mépris des lois de Genève. La troisième, par contre, n'est plus que rage impuissante : il exige que Calvin soit emprisonné en même temps que lui, dans les mêmes conditions (terribles), et à la fin brûlé si lui, Servet, prouve son innocence. Il ne cache plus sa haine contre le maître de Genève, en qui il avait mis son espoir jusqu'à une date récente. Ses juges n'auront rien épargné pour le faire sortir de ses gonds. Alors qu'il a déclaré être atteint d'une infirmité physique vérifiable qui lui interdit tout rapport sexuel, on a continué à le harceler de questions sur ses prétendues débauches. Nouveau changement de ton dans la dernière requête où il évoque la dureté de ses conditions de détention, et implore la pitié. On sent qu'avec un peu plus de doigté, ce que les inquisiteurs catholiques montraient parfois, ses juges auraient pu obtenir une rétractation complète. Mais le voulaient-ils ? Le dénouement est connu. Le 27 octobre, Michel Servet est brûlé vif au lieu-dit Champel. Quelques protestations véhémentes
se font entendre, au nom de l'Évangile. Beaucoup espéraient
que la Réforme mettrait aussi fin aux bûchers. Un ancien
nonce apostolique se déclare terrifié par le procès
de Servet. Un érudit hollandais, David Joris, s'adresse aux juges :
"J'espère que le conseil assoiffé de sang des érudits
n'aura pas de poids auprès de vous mais considérez plutôt
les préceptes de notre seul Seigneur et maître le Christ
(...) que nous ne devons crucifier ni tuer personne à cause de
sa foi, qu'il vaudrait mieux que nous soyons crucifiés et tués
nous-mêmes. Ne jugez point et vous ne serez point jugés...
" Sébastien Castellion, humaniste français connu,
interpelle encore plus directement Calvin sur les mêmes thèmes :
"Nous diras-tu, à la fin, si c'est le Christ qui t'a appris
à brûler les hommes ? (...) Tuer un homme ce n'est
pas défendre une doctrine, c'est tuer un homme. (...) On ne prouve
pas sa foi en brûlant un homme mais en se faisant brûler
pour elle..."
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