Ces pages sont consacrées aux discours
autogènes, rumeurs, idéologies, ensembles
d'informations que l'on tend à répéter
le plus possible, à prendre en compte le plus
possible, poussé(e) à cela non par la valeur
de ce discours, mais par une illusion qui se transmet en
même temps que lui.
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Processus
autogène
J'appelle processus autogène
un événement qui tend, de lui-même, de
par ses caractéristiques intrinsèques,
à se reproduire, sans que son résultat ait
jamais été annulé (une oscillation
n'entre pas dans ce cadre).
Processus autogène
unidimensionnel
Voici un exemple simple. On attache
sur le dos d'un animal une perche au bout de laquelle se
trouve fixé un aliment qui attire la bête, sans
qu'elle puisse l'atteindre. Tant que l'animal avance,
cherchant désespérément à saisir
l'appât qui s'éloigne d'autant, il y a
processus autogène. Dans ce cas particulier, il y a
répétition mais non amplification. Bien
entendu, le même type de mécanisme se retrouve
couramment dans les relations humaines. Faut-il citer des
exemples ?
Un exemple de processus
autogène uni-dimensionnel avec amplification est
montré par une escalade de violence. Volontairement
ou non, un groupe humain agresse ou lèse ou offense
un autre groupe humain, qui réplique en allant un peu
plus loin dans l'agression ou l'offense. Car chaque camp
tend à maximiser les exactions de l'autre et à
minimiser les siennes. Le processus non seulement
s'entretient, mais s'amplifie de lui-même.
Processus autogène
multi-dimensionnel
C'est un processus autogène
qui tend non seulement à se répéter,
non seulement à s'amplifier, mais à se
multiplier, à s'étendre.
Le feu est un exemple
élémentaire de processus autogène
multi-dimensionnel. Qu'est-ce que le feu ? C'est, en
substance, une réaction chimique entre deux
molécules, qui produit de la chaleur, laquelle
chaleur déclenche la même réaction entre
les molécules voisines et ainsi de suite. On peut
évoquer aussi le feu nucléaire, en
remplaçant les molécules qui se recombinent
par des atomes de plutonium qui éclatent en projetant
des neutrons qui font éclater d'autres atomes de
plutonium.
Une épidémie virale
est un autre exemple de processus autogène. Qu'est-ce
qu'un virus ? C'est un assemblage de molécules
organiques, protéines et acides aminés, dont
on ne peut pas dire qu'il soit vivant. Il ne se nourrit pas,
ne grandit pas, ne respire pas, ne bouge pas... et il ne
sent pas, ne jouit pas, ne souffre pas, ne craint pas,
n'espère pas. Ou en tout cas, il n'est pas
nécessaire de le supposer pour l'expliquer en
totalité. Le virus ne peut qu'exister jusqu'à
ce qu'il rencontre des conditions physico-chimiques qui le
détruisent, ou jusqu'à ce qu'il entre dans une
cellule qui lui convienne. Cette cellule perd alors ce qui
semblait être sa finalité propre, sa vie et
éventuellement celle de l'organisme dont elle fait
partie, pour se mettre à fabriquer des virus
semblables au premier, qu'elle libérera en
éclatant. Le processus peut être complexe,
sophistiqué. Nombre de virus provoquent des
désordres tels que l'organisme qui en est atteint est
amené à tousser et à diffuser par
là même le virus. Celui de la rage provoque,
chez les animaux qui en sont atteints, un besoin de mordre,
et c'est la morsure qui assure la diffusion du virus.
Notre troisième exemple est
ce qu'on appelle une drogue dure. Qu'est-ce qu'une drogue
dure ? C'est une substance organique dont les
caractéristiques font que, quand un humain en
ingère, il est porté à en reprendre,
à en reprendre toujours plus, pour retrouver le
plaisir initial puis pour échapper à la
souffrance (processus autogène uni-dimensionnel avec
amplification). Dans les cas extrêmes, toutes ses
autres motivations céderont devant celle-là,
et il éprouvera aussi le besoin de pousser d'autres
personnes à prendre de la même drogue
(multi-dimensionnel). Car il bénéficiera ainsi
de la ristourne que son dealer aura tout
intérêt à lui accorder pour
étendre sa clientèle, le plus sûr moyen
de ne pas manquer étant de se faire dealer
soi-même.
LA VIE AUTOGENE
?
Ces trois derniers exemples
inspirent la même remarque. Entre le feu le plus
dévastateur et les subtiles réactions
métaboliques de notre organisme, il y a plus qu'une
parenté. C'est, en gros, le même oxygène
qui, en se combinant avec le même carbone,
libère une énergie qui, elle, n'a pas les
mêmes effets. Dans le second cas, elle ne sert pas
seulement à la propagation, à la reproduction
du feu.
De même, entre le virus et
nous, il n'y a pas seulement une analogie biochimique, les
mêmes acides nucléiques jouant le même
rôle. On peut passer, sans discontinuité
frappante, du virus à la bactérie (on
connaît des organismes intermédiaires,
mycoplasmes, chlamidiae...), alors même que l'on
considère que la frontière entre la vie et la
non-vie passe entre la bactérie et le virus. La
bactérie peut aussi bien se définir, en
schématisant, comme un virus qui s'offre en plus
quelques phénomènes de réactions
chimiques (respiration, alimentation) assimilables à
des combustions, autre processus autogène. C'est
ainsi que la bactérie grandit un peu, juste assez
pour pouvoir se couper en deux nouvelles bactéries. A
l'inverse, le virus peut être défini, en
très gros si l'on peut dire, comme une
bactérie réduite à son noyau. On peut
aller ensuite de la bactérie à des cellules
plus évoluées et complexes, puis de ces
dernières aux associations plus ou moins
étroites qu'elles constituent, et dont nous
prétendons être l'exemple le plus
élevé.
De même, entre la drogue dure
et notre indispensable pain quotidien, on trouve bien des
intermédiaires, les drogues moins dures d'abord
(haschisch, tabac, alcool...), puis les simples excitants
(café, chocolat...), puis ce qui est simplement
agréable à manger...
La vie, qui tend comme chacun sait
à croître et se multiplier, est-elle donc un
processus autogène ? Oui, évidemment.
N'est-elle rien d'autre ? Si on considère le virus,
on ne voit effectivement rien d'autre. Quelle valeur
représente-t-il ? On sait aujourd'hui que,
contrairement à ce que l'on croyait au moment de leur
découverte, les virus ne sont en rien à
l'origine de la Vie. Il est possible que des gens s'amusent
à créer de nouveaux virus, mais ils ne le
crient pas sur les toits. Et si on annonce que l'on a
découvert un virus nouveau et insolite dans une
région reculée, personne, hors les
spécialistes dont c'est le métier
d'étudier les virus, ne se souciera d'aller y voir de
plus près.
Par contre, si on annonce que dans
tel marécage mal famé d'Afrique on a
trouvé inopinément des diplodocus, cela
passionnera à coup sûr beaucoup de gens. Au
moins du point de vue superficiel de la curiosité
populaire, les diplodocus représentent une valeur,
les virus, non. Et personne n'a regretté
l'éradication du virus de la variole, alors que la
fin annoncée ou redoutée de telle
espèce d'ours ou de baleine soulève des
vagues. Ces espèces représentent donc une
valeur, relative peut-être, mais que n'a pas le virus.
Est-il présomptueux d'avancer, sans autre
justification et sans davantage approfondir le mot "valeur",
que la vie humaine représente une valeur encore
supérieure ?
Posons comme postulat de
départ que ce qui fait la valeur de la vie, c'est ce
qui en elle n'est pas autogène.
Ceci n'est pas un ouvrage de
biologie, et ce même postulat sera reconduit tel quel,
puis exploré dans ses multiples conséquences,
quand il s'agira non plus d'espèce vivantes, mais de
religions.
DISCOURS
AUTOGENE
Nous voici dans le vif du sujet.
Qu'appelons-nous "discours autogène" ? C'est un
discours, donc un ensemble de mots, d'idées,
exprimé oralement ou par écrit, qui tend
à se répéter, à se maintenir et
à se propager, à occuper de plus en plus de
place dans les esprits, de par son contenu même. Donc,
sans qu'une intention humaine soit nécessaire pour
l'expliquer.
La répétition ne
suffit pas à définir le processus ou le
discours autogène. Un protocole, ou un rituel, n'est
pas autogène en lui-même. Il a son
utilité... à moins bien sûr qu'il ne
soit induit par un discours autogène. Une mode n'est
pas non plus autogène, dans la mesure où elle
incite à faire d'une certaine façon quelque
chose qu'on ferait de toute façon.
Nos premiers exemples de discours
autogènes seront liés à des processus
autogènes déjà
évoqués.
Le cas de la drogue dure montre un
discours autogène, lié à cette
même drogue dure en une véritable symbiose. Il
est constitué de l'ensemble des arguments, souvent
stéréotypés, invoqués par les
usagers de cette drogue pour convaincre d'autres personnes
de s'y adonner : "Tu ne peux pas comprendre si tu n'as pas
essayé... Nous y viendrons tous... Tu n'es pas des
nôtres si tu n'essayes pas..." Le tout
accompagné par toutes les séductions,
intimidations et manipulations que l'on sait ou que l'on
devine. Quand ce discours "marche", quand la personne
à qui il s'adresse "essaye", et ne parvient plus
à reculer, elle sera probablement amenée
à tenir à son tour le même discours
à d'autres encore .
C'est en cela que je définis
ce discours comme "autogène", même s'il n'est
pas totalement autonome.
Il en est de même d'un
discours, d'une idée, d'un argument, d'une
allégation, qui entretient et stimule une escalade de
violence, ou une violence endémique. Cela nous permet
d'entrer encore un peu plus dans le vif du sujet. Car ce qui
entretient et stimule la violence d'un groupe humain contre
un autre groupe humain s'appelle bien souvent rumeur,
même si ce n'est qu'une catégorie particulier
de rumeur.