26 août 2002 

Alamo, un film qui désinforme

Extrait parmi d'autres de l'ouvrage Martyrs, l'arme absolue qui joue de malchance auprès des éditeurs.

En l'occurrence, on va voir que le film classique de John Wayne, Alamo, contient quelques désinformations caractérisées.

 

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Alamo

Jusqu'à 1836, le Texas était possession du Mexique, indépendant de l'Espagne depuis 1821. Mais son territoire immense et presque vide avait attiré des colons anglo-saxons. En 1835, ils entrent en rébellion ouverte, improvisent une armée. Ils sont riches et peuvent se procurer les meilleures armes disponibles sur le marché. Mais le gouvernement mexicain n'est pas disposé à laisser faire. Une force de plus de cinq mille hommes, commandée par le futur dictateur Antonio Lopez de Santa Ana, passe à l'offensive. Les insurgés ne sont pas prêts. Pour gagner du temps, ils replient le gros de leurs forces et chargent le colonel William Travis de retarder autant que possible l'ennemi.

Travis se retranche donc avec quelques deux cents hommes dans un ancien couvent à Alamo. Bien secondé par deux aventuriers baroudeurs chevronnés, Davy Crockett et Jim Bowie, il met en place la défense.

Le couvent résistera 13 jours, du 23 février au 6 mars 1836. Aucun des défenseurs n'en réchappera. Les Mexicains, durement éprouvés, seront battus deux mois plus tard par le gros des forces rebelles, galvanisées par le cri de guerre : "Rappelez-vous Alamo !". Le Texas maintiendra son indépendance jusqu'à ce qu'il devienne un des États Unis, une dizaine d'années plus tard. Première exploitation efficace du martyre, donc.

La deuxième exploitation prendra la forme de plusieurs œuvres, dont la plus importante est bien sûr le film de John Wayne, Alamo, de 1960, exaltation vibrante des héroïques martyrs de la liberté, avec des leçons de patriotisme lourdement répétées jusqu'au chœur final. Il est pour l'essentiel conforme aux faits historiques, si on met de côté l'habillage romanesque. Mais bien sûr ce sont les différences, les infidélités, qui sont significatives de notre point de vue.

D'abord, sur l'adversaire mexicain. Le film le montre sous un jour plutôt favorable. L'armée de Santa Ana a fière allure ; ses soldats sont braves, chevaleresques (ils font évacuer les femmes et les enfants du fort), disciplinés, aguerris. Et accessoirement pas arriérés puisqu'ils disposent de canons dernier cri, dont Travis se figurait qu'ils n'existaient qu'en Europe.

C'est qu'en 1960, et jusqu'au moment où j'écris, le Mexique est devenu un voisin et partenaire accommodant, mais dont il faut ménager la susceptibilité.

Pour ne pas forcer la note, ils apparaissent aussi comme des robots sans personnalités propres, incapables d'initiatives individuelles. Par contraste, Crockett et Bowie prennent, eux, l'initiative d'aller détruire les redoutables canons par un raid nocturne plein de panache, couronné de succès, et ce sans demander la permission de leur chef qui s'en formalisera, sèchement mais sans plus. C'est pour la Liberté que Travis et les siens mouraient !

Dans la réalité, l'armée de Santa Ana manquait cruellement d'expérience, et a longtemps différé l'assaut dans l'espoir d'une reddition qui n'a pas dû être refusée aussi péremptoirement qu'on le voit dans le film (un coup de canon). Les assiégés étant là pour gagner du temps, il était normal qu'ils fassent traîner les discussions. Et si, dans le film, les insurgés se font vraiment tuer jusqu'au dernier les armes à la mains, Crockett faisant finalement exploser le stock de poudre, dans la réalité les derniers survivants ont été sauvagement massacrés après avoir cessé de résister.

Mais la plus grosse désinformation du film tient dans l'épisode suivant. On y voit un esclave, un seul, propriété de Jim Bowie. C'est un vieux Noir dévoué qui a gagné l'affection de tout le monde. Son maître l'affranchit à la veille de l'assaut final. Il déclare alors : "Si je suis libre maintenant, c'est que j'ai le droit de décider où aller. C'est pour ça que vous vous battez, n'est-ce pas ? Eh bien, dans ce cas, je crois que je vais rester..." Et tant qu'à faire, il se fera tuer en essayant de protéger Bowie.

Rien d'invraisemblable dans cette histoire. Peut-être même est-ce véridique. Et néanmoins, encore une fois, cela relève de la désinformation la plus impudente.

Car enfin, quelle était la principale motivation de la sécession ? L'indépendance ? le rattachement aux États-Unis ? Le drapeau flottant sur le fort n'était ni celui des États-Unis, ni celui du Texas, mais bien celui du Mexique, à cette différence près que l'aigle qui y figure aujourd'hui encore était remplacé par le chiffre 1824 (ce détail, respecté par le film, a déconcerté les premiers spectateurs). Car les insurgés réclamaient d'abord le retour à la constitution de 1824, qui les satisfaisait pleinement. Pourquoi ? Principalement parce qu'elle acceptait l'esclavage. Or le gouvernement mexicain venait, en adoptant une nouvelle constitution, d'abolir l'esclavage, et les Texans n'entendaient pas se laisser déposséder de leur main-d'œuvre servile.

Faire avaliser pour nous le faire avaler, aussi formellement, par un esclave à peine libéré, que c'était le combat de la liberté, il fallait oser.

Principale source : Maurice Ezran, Histoire du Texas, L'Harmattan, 1996.

 

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