Salvador Allende (1906-1973), martyr de quoi ?
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Ce qui suit est un extrait de mon ouvrage Martyre et totalitarisme, qui s'efforce de montrer que les mouvements totalitaires brandissent et utilisent leurs martyrs, vrais ou faux, mieux que quiconque. Ci-après le chapitre sur Allende, martyr indiscutable...
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La
plus
grande mine à ciel ouvert du monde, El Teniente de
Chuquicamata, produisant 25%
du cuivre mondial, où travaillent cinquante mille ouvriers
appartenant au plus
dur des syndicats, fut occupée par un jeune capitaine
accompagné d’une dizaine
de soldats sous les vivats des ouvriers… Vous avez
bien lu, c’est
du Chili
qu’il est question, et pour soutenir en substance (tout le
texte va dans le
même sens) que Salvador Allende martyrisait les ouvriers, que
ces mêmes
ouvriers ont accueilli Augusto Pinochet comme un libérateur.
Pour faire bonne
mesure, on aurait attribué au second des charniers
laissés par le premier. Qui
ose ces énormités ? Pierre Clostermann
(1921-2006), l’as français de la
deuxième guerre mondiale et auteur du très
célèbre Grand Cirque,
dans un autre livre où il règle sans
ménagement
quelques comptes personnels ou non[1].
Ouvrage
partisan ? Clostermann
était un gaulliste on ne peut plus inconditionnel (il
règle aussi en passant
des comptes, en partie personnels, avec les ultras de
l’Algérie française et du
Maroc français), un peu tiers-mondiste, certes sans
sympathie de gauche, mais
pas particulièrement réactionnaire non plus.
Quelles compétences avait-il pour
lancer un tel jugement ? D’abord, il
était député français
depuis plus de
vingt ans et avait donc une expérience politique. Et puis il
a longtemps vécu
en Amérique latine, et il se trouvait au Chili au moment du golpe de Pinochet. Il a vu de ses yeux
l’ambiance, et les conditions de détention, pas si
inhumaines selon lui qu’on a
pu le dire, dans le stade de Santiago. Il
signale aussi que :
La
question posée est simple, et
toujours la même. De quelle cause
Salvador Allende a-t-il été un martyr ?
Car il a bien été un martyr,
brandissant la mitraillette offerte par Fidel Castro plutôt
que d’accepter
l’exil que lui proposaient les auteurs du golpe.
Partant de là, il y a essentiellement deux
thèses, celle de Clostermann,
Allende martyr du marxisme-léninisme contre la
démocratie, et la plus répandue
au moins en Europe, Allende martyr de la démocratie contre
le fascisme ou
quelque chose d’apparenté. Un
premier élément de
réponse :
il a été élu
démocratiquement, puis renversé par des gens qui
n’ont pas été
élus démocratiquement, ne l’oublions
pas. Mais est-ce si simple ? Un
deuxième élément
de
réponse : il ne tombait pas de la lune et avait
déjà une longue carrière
derrière lui quand il a été
élu à la magistrature suprême. Et il
avait joué
clairement le jeu de la démocratie. Il
est né dans une vieille famille
aristocratique chilienne, d’origine basque, mais qui
néanmoins penchait à
gauche déjà pour ainsi dire avant sa naissance.
Le grand-père de Salvador,
Ramón Allende, radical et franc-maçon,
était surnommé El Rojo (le Rouge).
Pendant ses études, le jeune Salvador est initié
aux luttes sociales par un
vieux cordonnier anarchiste, Juan Demarchi. Il termine ses
études de médecin
non sans un séjour en prison et participe en 1933
à la fondation du parti
socialiste chilien, qu’il ne quittera plus, devenant
secrétaire général en
1944, puis sénateur. Pas question d’aspiration
à la dictature. Pas plus quand
il devient, en 1966, président du
sénat : le journal conservateur El
Mercurio lui rend hommage. Il a déjà
été candidat à la
présidence en 1952, 1958 et 1964, obtenant successivement,
5,45%, 28,5% et 38,6% des suffrages. La quatrième devait
être la bonne.
Entretemps, le démocrate-chrétien Eduardo Frei
allait mener une politique
réformiste, autorisant les syndicats paysans et
développant l’éducation. Mais
Frei ne pouvait plus constitutionnellement se représenter. La
victoire de 1970 n’est pas pour
autant un raz-de-marée. Le candidat de la droite,
Alessandri, part en tête des
sondages et finit par perdre plutôt parce que son grand
âge et son mauvais état
de santé découragent une partie de
l’électorat. Allende est donc élu avec
36,3%
des voix, soit un peu moins qu’en 1966, et plutôt
parce que les deux autres
postulants, Alessandri donc et le
démocrate-chrétien Tomic, n’ont pas
jugé bon
de s’unir. Les
conditions n’étaient donc
pas
idéales pour une politique de rupture totale. Et
pourtant, cette rupture totale,
il allait la poursuivre. Dans une direction parfaitement claire et
largement
balisée, une direction qui ne pouvait aboutir, si elle
réussissait, qu’à un
régime de type marxiste-léniniste. Car
s’il n’y avait qu’une minorité
pour le
souhaiter cette minorité était
particulièrement déterminée et
exaltée. Autre point de vue :
On
m’objectera que
l’auteur de
ces
lignes, Jean-François Revel, est un partisan notoire et
déclaré d’un
libéralisme très poussé. Donc il est
partial, forcément. Soit, laissons-le,
comme Clostermann, et cherchons ailleurs une confirmation de son point
de vue,
chez les plus déterminés et les plus
conséquents des partisans d’Allende.
Nourrissaient-ils vraiment des intentions totalitaires ? Cela,
nous allons le vérifier…
en
musique. La
Nueva
Canción Chilena Nous
avons déjà
parlé de Victor
Jara, le représentant le plus emblématique de
toute une génération, des dizaines,
de chanteurs très
engagés. Le deuil d’Allende Plusieurs
chansons, composées après le golpe,
s’intitulent Compañero
Presidente, Camarade Président (et leurs auteurs
respectifs ne se sont pas disputé la
propriété du titre). Por tu vida cantaremos Por tu muerte una canción Cantaremos por tu sangre Compañero, Salvador. Por tu vida Presidente Por tu muerte Compañero Nos dejaste tus banderas Salvador de los obreros. Por tu vida lucharemos Por tu muerte con valor Lucharemos por tu ejemplo Compañero, Salvador. Pour
ta
vie nous chanterons, Pour
ta
vie, Président,
Plus sobre,
d’Angel
Parra, Compañero Presidente : "La
historia no se detiene
Politique
de rupture
De
Luis Advis, Canción del poder
popular, le refrain : Porque esta vez no se
trata
Et
comme
des êtres humains, Sans
nier qu’il y avait, qu’il y a
toujours, de l’injustice et de la misère au Chili,
il y était quand même
possible de s’en sortir, par exemple en gagnant sa vie comme
chanteur ou
chanteuse, et en y gagnant une notoriété
internationale, ou comme poète
admirateur impénitent de Staline, comme Pablo Neruda, Nobel
de littérature. Bien
d’autres chansons présentent la
vie nouvelle qui va venir comme idyllique, sans exploiteurs, une fois
pour
toutes. Será mejor la
vida que vendrá
Donne
un
coup de main, fiston (…) Explication : pour tenter de surmonter la crise on demandait aux gens de travailler volontairement, aux champs ou à l’usine, le dimanche en plus de la semaine. On n’y a pas recouru de gaité de cœur, mais on y a recouru. Jusqu’à quel point était-ce volontaire ? Jusqu’à quel point serait-ce resté volontaire si l’expérience n’avait pas été brutalement interrompue ? La réponse n’était pas forcément claire pour les Chiliens. Cela
est supposé
se passer dans la
joie : Du groupe Quilapayún (Las ollitas, Les casseroles), sur le mode sarcastique.
La
grandecita la tiene muy llenita La
droite
a deux casseroles, La
grande, elle la garde bien pleine Explication : pour protester contre la pénurie alimentaire, l’opposition à Allende avait lancé une série de manifestations utilisant des casseroles vides. Bref,
selon ce chant
c’est la droite
qui organise la pénurie et qui se réserve les
bons plats. C’est peut-être en
partie vrai, mais s’en moquer ne règle pas le
problème de ceux, de droite ou de
gauche, qui ont réellement faim. Vietnam, Cuba La présidence d’Allende coïncide exactement avec le grand tournant de la guerre du Vietnam, l’Amérique obligée peu à peu de plier et de se retirer face à plus déterminé qu’elle. Nos chanteurs ont choisi leur camp. Sur
le mode de la ferveur,
Isabel
Parra : Es
difícil establecer comparación Il
est
difficile de comparer Sólo aspiramos a ser como son. Nous
aspirons seulement à être comme eux. Dans la même veine, Victor Jara, El derecho de vivir en paz
Sur le mode sarcastique à présent, par les Quilapayún : Hoy
con
su cola cortada Aujourd’hui,
avec sa queue raccourcie, Ce
caïman
est bien
entendu le
Yanqui exécré. Le soutien
inconditionnel à Cuba est aussi un exercice de style
obligé des chanteurs
partisans d’Allende.Le
peuple vietnamien comme le
peuple
cubain sont bien sûr présentés comme
fraternellement unis derrière leurs
leaders communistes. Fantasme totalitaire classique. Et puisque nous avons évoqué Pablo Neruda, voici un extrait, certes un peu choisi mais le reste est dans le même ton, d’une sienne élégie à Staline : Stalin
alza,
limpia,
construye,
fortifica reserva, mira, protege, alimenta, Staline
élève,
nettoie,
construit, fortifie, économise, observe, protège,
nourrit Après
tout, un
certain Louis Aragon
avait fait pire dans la même veine : Je
demande un Guépéou pour préparer la
fin d'un monde. Neruda
était aussi
adulé par
la Nueva Canción Chilena,
et il le lui
rendait bien puisqu’il l’a largement pourvue en
textes. Sa réception triomphale
au retour de la remise du Nobel a été
orchestrée, dans tous les sens du mot, par
le musicien et metteur en scène Victor Jara. Et pour revenir à Salvador Allende, vers quoi dirigeait-il son pays, consciemment ou non, bon gré mal gré, en s’appuyant essentiellement sur des gens manifestant ce genre de convictions ? Auraient-ils accepté un échec électoral ? [1] Pierre Clostermann, L’histoire vécue, Flammarion, 1998. [2] Jean-François Revel, La tentation totalitaire, Robert Laffont, 1976, p286-288. [3] Jeu de mot évident sur le prénom d’Allende. [4] Il s’agit bien évidemment d’Ho Chi Minh, chef d’état du Nord-Vietnam. [5]
Louis
Aragon, Prélude
au temps des
cerises,
1931. Le Guépéou (sigle russe GPU),
ex-Tchéka, futur NKVD puis KGB, était la
police politique de l’URSS à
l’époque. .
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