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irov, leader soviétique prestigieux,
a été assassiné juste après le septième congrès du PCUS, en décembre
1934. Que Staline ait ordonné en sous-main cet assassinat n’est plus
contesté. Pas seulement parce que, dans les mois précédents, Kirov avait
tenté de mettre en œuvre une politique moins inhumaine dans son secteur
de Leningrad (en accordant des rations alimentaires supplémentaires
aux ouvriers, en freinant les opération de collectivisation) et s’était
conséquemment heurté à Staline. Pas seulement parce que son prestige
devenait immense dans la population. Le tueur, Leonide Nikolaïev, avait par deux fois, dans les jours avant le meurtre, tenté d’approcher sa victime, on avait même découvert son arme… et la police l’avait relâché. De plus, le jour fatidique, le garde du corps de Kirov avait été retenu à l’entrée du bâtiment, Kirov travaillant au troisième étage. On estime que Staline avait donné verbalement ses instructions à Iagoda, chef du NKVD. Nikolaïev, le garde du corps, les policiers chargés de l’enquête et Iagoda allaient être liquidés peu de temps après. Staline ordonne pour Kirov des funérailles
et un deuil d’une ampleur sans précédent, faisant de lui un martyr à
la face du monde, accompagnant à pied le cercueil, embrassant ostensiblement
les joues du cadavres. "Meurtre très lâche – aucun qui ne le soit
– mais celui-ci très lâche, étrange et monstrueux…" déclara-t-il
entre autres. Mais surtout ce fut le signal d’une vague de terreur terrifiante,
qui culminera en 1937-38. Parmi les premiers arrêtés, Zinoviev et Kamenev,
anciens compagnons de Lénine devenus peu à peu opposants. Puis la majeure
partie du gouvernement, puis la majorité des officiers, etc. Sans oublier
les couches plus modestes de la population. Faut-il simplement considérer Kirov comme un faux martyr typique ? Oui dans la mesure où c’est le commanditaire de son meurtre qui a exploité à fond le martyre prétendu. Mais quand même pas si simple. Anton Kolendic (Anton Kolendic, Les derniers jours de Staline, Fayard, 1982) fait état d’un document assez ahurissant, retrouvé dans les archives de Beria. C’est une lettre qui commence ainsi : « Avant de mourir, je veux que la vérité soit consignée... » Une annotation d’une autre main, celle du redoutable Iéjov, le successeur de Iagoda, précise : « Il a essayé de passer cette lettre en cachette… ». On aura compris que l’auteur était prisonnier, sur le point d’être liquidé. Il déclare d’ailleurs avoir reconnu tout ce qu’on lui demandait après quatre jours et quatre nuits de tortures. Qui était-il ? V B Satonski, vieux bolchévik et membre du Comité central. Que raconte-t-il ? ceci : "A la séance de la commission du Comité central (…), des controverses éclatèrent. Le camarade Staline intervint en imposant ses points de vue. La majorité n’était pas d’accord. C’est alors que Smirnov, suivi par N B Eismont, se leva et demanda la démission de Staline. "Le soir eut lieu une réunion avec des membres des autres commissions, en majorité des secrétaires des Comités centraux des républiques et des provinces, et tous furent d’accord pour qu’au prochain congrès Staline soit démis de ses fonctions et remplacé par S M Kirov ! "Au nom de la commission, les pourparlers
avec Kirov furent menés par les membres suivants du Comité central :
G I Petrovski, Smirnov, Ordjonikidzé, Mikoyan et M D Oratchélechvili. "Kirov fut d’avis
qu’il était plus que nécessaire de remplacer Staline, mais refusa de
prendre lui-même les fonctions de secrétaire général. "Il fut décidé d’attendre et de
prendre la décision au congrès. "Bien que l’entretien eût été confidentiel,
S M Kirov m’avertit par la suite que Mikoyan avait rapporté
toute la conversation à Staline et que je devais aviser. En effet, au
congrès, personne ne se déclara publiquement contre Staline ! "Pourtant, lors du vote à bulletin
secret de tous les candidats à l’entrée au CC, c’est Staline qui recueillit
le moins de voix ! "271 personnes votèrent contre
Staline et S M Kirov recueillit toutes les voix sauf
deux. "C’est moi qui était président de la commission de vote. Lorsque j’eus fait le compte des voix, je pris peur. "Je n’avais pas oublié les mises
en garde de Kirov ! (…)" A ce point, le malheureux prend, selon toute apparence, une décision fatale, suicidaire, pour lui comme pour tout le pays : "Je leur interdis [à ceux qui connaissaient le décompte] de faire part des résultats du vote à quiconque et les communiquai au secrétaire du congrès, Lazare M Kaganovitch. "Il écouta les résultats sans broncher,
se félicita de ma décision de ne pas les avoir communiqués et, devant
moi, détruisit tous les bulletins… » Et Kaganovitch proclama
Staline élu. « Je fus étonné, commente Satonski, par les applaudissements
qui saluèrent sa communication, à savoir que Staline était élu avec
seulement deux voix contre, et Kirov trois, c’est-à-dire
pratiquement à l’unanimité…" Sergueï Kirov est peut-être d’un certain point de vue, malgré tout, un vrai martyr, récupéré sans vergogne par son assassin.
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