26 octobre 2002
complété 16 mars 2006
 

 

Paradoxes, clé de la sagesse ? 


Un peu de philosophie appliquée.

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Epiménide de Cnossos (VIème siècle avant JC) a lancé le débat avec son paradoxe du Crétois qui dit : "Je mens". S'il ment en le disant c'est qu'il dit vrai, mais alors il ment, mais alors... ainsi de suite, on a d'entrée de jeu les caractéristiques essentielles du paradoxe :

  • l'oscillation à l'infini,
  • le fait que la sentence paradoxale devrait s'appliquer à elle-même.

Autres paradoxes classiques : "Interdit d'interdire...", "Toutes les généralités sont fausses...", "Grâce à Dieu je suis athée...", "Je ne suis pas superstitieux, ça porte malheur...", "Tous contre la pensée unique..." etc. etc.

Les paradoxes de ce types ont été utilisés pour contester, ou déstabiliser, ou relativiser, le dogme d'un dieu créateur tout puissant :

  • Si la création suppose un créateur incréé, pourquoi ce créateur n'aurait-il pas lui-même besoin de créateur, et s'il est créé, alors... et ainsi de suite.
  • Si Dieu est tout puissant, il doit pouvoir créer un rocher si énorme que lui-même, Dieu, ne puisse le remuer, mais alors il n'est pas tout-puissant, et s'il ne le peut pas... et ainsi de suite.

Miguel de Unamuno (1864-1936) Pour lui, "Une foi qui ne doute pas est une foi morte" (L'agonie du Christianisme). Une foi étant par définition ce qu'un être humain croit devoir supposer sans être en mesure de le prouver pour que sa vie ait un sens, l'alternance, oscillation, entre le doute angoissant et la foi dynamisante, quand elle est bien réglée, agit comme un moteur quand il le faut et un frein quand il le faut. Par contre, le refoulement du doute conduit au fanatisme.

Kurt Gödel (1906-1978) a montré qu'aucune assertion ne peut contenir en elle-même sa propre preuve.

Cela s'applique au premier chef à toute personne ou groupe qui affirme : "Si quelqu'un ne pense pas comme je pense et comme on DOIT penser, c'est que le Diable (ou sa race, ou sa classe, ou son Oedipe mal intégré, etc. etc.) le fait penser de travers". Ce genre de conviction représente une des plus dévastatrices formes du Mal.

Gregory Bateson (1904-1980) a mis en évidence la nocivité psychologique des injonction paradoxales (double bind). De quoi s'agit-il ? La plus classique est le fameux "sois spontané(e) !". En quoi est-ce paradoxal ? Si on obtempère, ce n'est pas spontané donc on n'obéit pas, et si on n'obtempère pas... on n'obéit pas. Oscillation sans fin. Le même effet s'obtient quand on prétend exiger de la volonté de quelqu'un, un enfant en particulier, quelque chose qui n'en dépend pas réellement (être heureux, dormir, croire quelque chose...). Si cette personne intériorise durablement l'injonction, se croit moralement tenue d'obtenir ce résultat, le résultat peut être :

  • insomnie chronique (injonction de dormir)
  • dépression (injonction d'être heureux)
  • folie (injonction de croire quelque chose dont on peut constater la fausseté).

Les textes sacrés : Si on leur applique leurs propres préceptes, que trouve-t-on ? Ce peut être pour les contrer, et cela remonte à l'antiquité. On a opposé à Lao Tseu ses propres mots : "Celui qui parle ne sait pas...", et le fait qu'il ne s'est pas arrêté là, donc il ne savait pas, mais alors son assertion est sans valeur, etc. Le Romain Celse, le premier adversaire du Christianisme dont un texte nous soit parvenu (par le biais de citations d'Origène, qui entendait le réfuter), applique le même type de raisonnement à Jésus :

"De sa propre bouche, d'après vos propres livres, ne vous a-t-il pas annoncé que d'autres se présenteront à vous, usant des mêmes pouvoirs, qui ne seraient que des méchants et des imposteurs ; et ne parle-t-il pas d'un certain Satan qui doit imiter ses prodiges ? N'est-ce pas laisser à entendre que ces prodiges n'ont rien de divin, mais sont le fruit de pratiques impures ? En projetant sur les autres la lumière de la vérité, il s'est confondu lui-même du même coup...".

Pourquoi faudrait-il forcément conclure à la non validité du texte sacré ? Ne peut-on pas utiliser la lecture réflexive pour en écarter simplement les interprétations intégristes, totalitaires ?

Avec la Bible, il suffit de constater ce que le Serpent, le Tentateur suprême, insinue : "Vous serez comme des dieux connaissant le bien et le mal..." (Genèse, III, 5) Que d'horreurs n'a-t-on pas commises en prétendant connaître le Bien et le Mal d'après la Bible...

Avec le Coran, prenez : "A Dieu seul appartient l'argument péremptoire. S'Il avait voulu, Il vous aurait tous dirigés dans le chemin droit..." (sourate VI, 149 ou 150 selon version). Que d'horreurs ne continue-t-on pas à commettre en prétendant tirer un argument péremptoire du Coran... Et à propos du Coran, est-il raisonnable d'associer à Dieu un texte qui dit qu'on ne doit rien associer à Dieu ? Mais dans quelle mesure les musulmans le font-ils ou non ?

Le Sûtra du Lotus, considéré comme essentiel par les tenants de Tien Taï (Tendaï en japonais), et Nichiren. On y trouve un certain nombre de paraboles qui suivent le même schéma. Ainsi, un homme supérieurement sage et bienveillant en aide d'autres... en leur faisant prendre des vessies pour des lanternes. Ainsi, un homme a de nombreux enfants qui jouent insouciants dans une maison en feu. Il n'a pas le temps de leur expliquer le danger ni de les faire sortir d'autorité, alors il leur fait croire qu'il leur a apporté, à l'extérieur, de nouveaux et formidables jouets. Tous se précipitent et sont sauvés. Ne pourrait-on pas aussi considérer les divers préceptes de ce sûtra comme des illusions utiles ?

On peut aller plus loin, ne pas se borner aux religions. Par exemple, le principe de la libre concurrence ne doit-il pas lui-même avoir un concurrent ?

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