Depuis Boris Porchnev, il est
courant de présenter des cas classiques d'"enfants
sauvages" comme pièces à convictions du
dossier plus général des "hommes sauvages". Il
n'est pas toujours simple de discerner ces cas de ceux
d'enfants abandonnés parce qu'anormaux, ou anormaux
parce qu'abandonnés. Les cas ambigus ne manquent pas,
parfois simplement par manque d'information. C'est
peut-être déconcertant, et il est tentant de
sélectionner les cas les plus nets, mais si on
délaisse les autres, il seront (il sont
déjà) repris par ceux qui nient en bloc
l'existence actuelle d'une autre forme humaine que la
nôtre. Illustration par quelques
exemples.
Le garçon de
Kronstadt
Ce malheureux a été
capturé en Valachie (Roumanie) à la fin du
dix-huitième siècle, et gardé plusieurs
années à Kronstadt. Boris Porchnev le cite
très longuement (Boris Porchnev et Bernard
Heuvelmans, "L'Homme de Néanderthal est toujours
vivant", Plon, 1974). Les yeux profondément
enfoncés dans leurs orbites, le front "très
fuyant", le corps velu, le cou "gonflé", les muscles
des membres "plus développés et saillants que
chez les êtres humains en général", rien
ne manque. Le caractère néandertalien, voire
plus "archaïque", est indéniable.
Ce n'est pas remettre en cause
cette identification que de remarquer que ce garçon
présentait des signes non moins flagrants d'autisme :
"Il n'exprimait jamais le moindre sentiment (...) Quand on
éclatait de rire ou simulait la colère, il ne
semblait pas saisir ce qui se passait (...) Il regardait
avec stupéfaction tout ce qu'on lui montrait, mais il
détournait bientôt le regard, avec la
même absence de concentration, sur d'autres objets.
Quand on lui présentait un miroir, il regardait
derrière celui-ci, mais restait tout à fait
indifférent de n'y point trouver son image..."
(consultez n'importe quel psychologue avec simplement ces
quelques indications).
Les derniers survivants
isolés de certaines populations d'"hominidés
reliques" sont forcément menacés par un
isolement affectif précoce, cause classique de
l'autisme. Cela a dû d'ailleurs faciliter leur
capture. Mais aussi, cela doit inciter à beaucoup de
prudence dans l'évaluation de leurs capacités
psychiques, donc de leur "degré
d'humanité".
Victor de
l'Aveyron
Le plus connu peut-être des
"enfants sauvages". Son autisme probable a fait l'objet
d'innombrables études. Par contre, il n'est dit nulle
part qu'il était velu, et les portraits qu'on a de
lui (peu après sa capture en 1800, quand il
était une vedette et l'objet des soins du Docteur
Itard) montrent clairement un garçon de race blanche
(à la rigueur, un curieux effacement du menton, et
des lèvres bien minces).
Ce nonobstant, voici une
description de son crâne à l'état adulte
(en 1817) : "Son front est très peu élargi sur
les côtés et très comprimé par le
haut, ses yeux sont petits et très enfoncés,
son cervelet est peu développé..." (F-J Gall,
cité par Frank Tinlant, "L'homme sauvage", PBP,
1968). Victor avait été entre-temps
rejeté par Itard, et menait une vie recluse à
Paris. Que des traits "archaïques" ne soient apparus
que tardivement est hautement significatif si on se
réfère aux enfants néandertaliens
fossiles connus (La Quina, Krapina...), lesquels ressemblent
à des enfants sapiens qui auraient été
plus âgés.
Cela ne suffit certes pas pour une
identification formelle, mais suggère pour le moins
que Victor était un hybride, cause possible de son
abandon et par là de son autisme.
Jean de
Liège
Capturé en Belgique à
la fin du dix-huitième siècle (une
période propice...), il a pu apprendre à
parler et n'est donc pas considéré comme un
possible néandertalien. On nous dit pourtant,
objectivement, qu'il était velu (bien sûr,
c'est un peu vague), et surtout que son élocution
laissait à désirer. Ce dernier point devient
troublant quand on précise que cette
difficulté à parler venait non d'une
quelconque déficience intellectuelle, mais d'une
conformation anormale du larynx... (voir Frank Tinlant, opus
cité).
Marie-Angélique
Leblanc
En septembre 1731, une fillette de
neuf ou dix ans entra dans le village de Songy (ou Soigny...
le fait est que ces deux localités se trouvent dans
le département de la Marne, sur la rivière du
même nom). Elle portait un bâton, dont elle usa
pour tuer net un chien qui se jetait sur elle. Elle figure,
avec huit autres cas, parmi les exemples d'Homo sapiens
ferus cités par Linné. Elle finit par
apprendre à parler, entra en religion, et finit
pieusement ses jours dans un couvent.
Personne, à ma connaissance,
n'a voulu y voir autre chose qu'une enfant abandonnée
par sa famille. Je me garderai de rien affirmer, mais enfin,
certains détails sonnent bizarrement, pas assez pour
être péremptoires, mais quand
même.
- Elle courait d'une manière
très anormale, et néanmoins plus vite qu'aucun
homme, ce qui ne s'explique guère pour une enfant
abandonnée mais est troublant à la
lumière des témoignages sur les almastys du
Caucase et bien d'autres.
- De même, elle nageait
très bien, y compris en plein hiver.
- Elle a été
considérée d'abord par les gens de l'endroit
comme le Diable, puis, alors qu'elle s'apprivoisait peu
à peu, comme "la bête du berger". Son
humanité n'était donc pas évidente
avant qu'elle ne parle ?
- Certains ont cru devoir supposer
qu'elle était esquimaude (ethnie très peu
connue à l'époque, à la limite du monde
connu), ce qui suggère une apparence physique un peu
hors norme.
- Elle était vêtue au
moment de sa reddition de loques et de peaux de bêtes.
Une femme lui aurait donné des vêtements. Mais
des peaux de bêtes ? Il est exclu qu'une enfant
abandonnée à elle-même ait pu
spontanément apprendre à s'en couvrir, et cela
ne faisait pas partie du costume champenois à cette
époque. Alors, je reconnais que c'est tiré par
les... poils, mais on peut se demander (sans plus !) si elle
n'était pas en fait couverte d'une "fourrure", mais
la sienne, donnée par la nature, ce que les
commentateurs n'auraient pas compris, ou pas admis, et
traduit de la seule façon qui leur paraissait
acceptable.
- Elle avait des pouces
anormalement longs, ce qui est un trait
néandertalien.
Ce dernier détail physique
est à peu près le seul, objectivement, qui
induise positivement un doute. C'est bien peu dira-t-on,
comme pour Victor. Mais le même raisonnement s'impose
au sujet du crâne. (voir Frank Tinlant, opus
cité).
Cas
norvégiens
"En Norvège, certains
dossiers médicaux mentionnent la présence de
"loups-garous" indiscutables. Ce sont des adolescents -
habituellement des garçons - atteints de
déficience mentale, affublés de poils et de
cheveux grotesques qui poussent souvent jusqu'au sommet de
leurs pommettes et leur couvrent entièrement le
front, jusqu'aux sourcils ; les mâchoires sont
prognathes (...) Ces êtres ne sont rien d'autre que
des gosses qui ont grandi en haute montagne dans des
vallées presque perpétuellement
saturées d'humidité (...) Ces pauvres
misérables que la communauté avait
rejetés ou qui s'étaient enfuis parce qu'ils
étaient anormaux réussissaient à
subsister en chassant à la main ou en cueillant des
plantes..."
J'attends qu'on me cite une seule
déficience glandulaire ou autre qui produise des
effets aussi singuliers, et qui permette une survie en
pleine nature dans un environnement aussi rude que les
montagnes du nord de la Norvège. Vous penserez
peut-être que les lignes ci-dessus ont
été écrites par quelqu'un qui n'avait
pas d'autre explication à sa disposition, qui
ignorait tout du problème des hommes sauvages et
velus. Elles ont été écrites par...
Ivan T. Sanderson, dans son classique "Hommes-des-neiges et
Hommes-des-bois" (Plon, 1963), page 241. Dans le même
ouvrage, Sanderson fait état de rapports
"surprenants" sur des hommes des neiges en
Suède.
Jean Roche
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