Dans le désordre, quelques constats dressés un peu partout dans le monde animal et son évolution.
Sören
Lövtrup
Un
article de La Recherche
(publication on ne peut plus scientifique, et très sérieuse),
de
juillet-aout 1977 (donc, pour nuancer, numéro estival
où l'on regroupe
les sujets douteux), s'intitule "La crise du darwinisme". Il a pour
auteur Sören Lövtrup (1922-2002, à l'origine Søren Løvtrup, Danois, professeur à
l'université
d'Umea, Suède, et donc les ø, prononcer comme "eux" sont devenus ö). Précisons qu'il n'est pas
question pour
lui de remettre en cause l'évolutionnisme, ni même
l'idée de sélection naturelle, mais seulement
l'idée, également qualifiée de
darwinienne, que l'évolution se
ferait par "micromutations", donc très progressivement et
aléatoirement. C'est
précisément sur la question de la taille, plus
exactement du poids, qu'il trouve une faille.
Il
donne en exemple les chouettes et hiboux de l'Europe et de
l'Amérique du nord, soit une bonne trentaine
d'espèces, dont la taille varie de celle d'un moineau
à celle d'un aigle. On pourrait penser que les tailles
moyennes respectives de ces espèces se
répartissent régulièrement entre ces
extrêmes. Pas du tout. Elles se regroupent dans un certain
nombre de paliers, et on passe d'un palier à un autre en
doublant à chaque fois le poids. Bien sûr ce n'est
pas exact au gramme près, il y a aussi des variations plus
discrètes, mais enfin la corrélation est
suffisamment frappante pour ne pas pouvoir être
attribuée au hasard. Entre Glaucidium gnoma ou Micrathene
whitneyi d'une part, Bubo bubo d'autre part, le rapport et de 1
à 128 (27).
Seul le rapport 8 (23)
n'est représenté par aucune espèce. Il
y a donc 7 paliers avec chacun au moins trois espèces qui ne
s'écartent jamais de plus de 25% du palier
théorique.
On
l'avait déjà constaté pour les
diverses espèces fossiles de chevaux ou de chameaux, mais on
pensait qu'il manquait les intermédiaires, que ce rapport
deux était un hasard.
Ce
rapport deux correspond à un doublement du nombre des
cellules. Surtout, il ne peut survenir que d'un seul coup, en une seule
génération.
On
peut multiplier les exemples de ce passage d'un groupe
d'espèces à un autre groupe d'espèces
par doublement ou quadruplement de poids, à 20%
près mais sans intermédiaire, sans
continuité. Rien que chez les mammifères :
- le Rat noir (Rattus
rattus) et ses 200 grammes de moyenne par rapport aux 400 du
Surmulot (Rattus norvegicus).
- le Chacal (Canis
aureatus), 7-13 kgs par rapport au Loup (Canis Lupus),
30-50 kgs.
- les
panthères, jaguars, pumas, par rapport aux lions et tigres
(quadruplement du poids chez les mâles comme les femelles).
On
peut trouver aussi cela chez les primates, et même les
anthropoïdes, avec le Siamang (Hylobates syndactylus),
deux fois plus lourd en moyenne que les autres gibbons.
Pourquoi
cela est-il si peu connu ? Pourquoi le nom de Sören
Lövtrup n'est-il pas dans tous les dictionnaires ? On ne peut
qu'esquisser des éléments de réponse.
La faculté de muter en taille (et de muter en
général) n'est pas également
répartie entre les espèces. Certaines sont au
même point depuis des centaines de millions
d'années. Surtout, bien des facteurs (individuels ou
spécifiques) influent sur le poids. L'effet est donc souvent
noyé parmi bien d'autres. De plus, un doublement de poids
n'augmente la taille que d'un facteur 1,26 (racine cubique de deux)
souvent insuffisant pour qu'on ait distingué deux
espèces (Lövtrup a ainsi constaté que
les représentants européens d'une certaine
espèce de chouette étaient deux fois plus lourds
que les américains, que nul n'avait distingués
auparavant).
Dans
le cas des chiens, l'espèce qui a connu les divergences de
taille les plus marquées le plus rapidement, en quelques
millénaires voire quelques siècles (qu'il
s'agisse d'une sélection en partie artificielle et laxiste ne change
pas le processus), il y a eu en outre des évolutions
morphologiques qui brouillent les données. Mais si on se
penche sur une sous-variété :
- schnauzer nain :
5-8 kgs
- schnauzer moyen :
12-15 kgs
- schnauzer
géant : 30-35 kgs
(fourchettes
moyennes d'après trois ouvrages
spécialisés).
Surtout,
un doublement ou dédoublement de poids, c'est ce qu'on peut
attendre s'il y a doublement ou dédoublement du nombre de
cellules, comme au commencement. Nous allons voir à
présent que cela semble concerner non plus l'ensemble de
l'individu mais des parties dudit. Et d'abord avec une autre "affaire"
qui a fait encore plus de bruit et de scandale.
Anne
Dambricourt
Anne
Dambricourt (née en 1959) est une chercheuse en
paléoanthropologie au CNRS et dans diverses autres
institutions. Un ouvrage sorti en 2000 raconte la genèse de sa principale
découverte, et le clash qui a suivi avec la
majorité de
ses collègues.
Bref
résumé simplifié de la
découverte, dite
contraction crânio-faciale : nous avons au milieu du
crâne un os discret, peu connu, appelé
sphénoïde, qui conditionne en fait la forme de
l'ensemble
de la tête. Et c'est l'évolution de cet os qui a
fait que
notre face s'est peu à peu aplatie, cette
évolution
s'étant faite non progressivement mais par
à-coups, six
paliers. Le dernier de ces à-coups a fait passer de
neandertal-erectus à sapiens. Ou peut-être
l'avant-dernier, le dernier... se déroulant sous
nos yeux
et obligeant un peu partout dans le monde à mettre aux
enfants
des appareils dentaires pour empêcher une malformation. Car
cette
recherche a été menée en
coopération
avec des spécialiste de la dentition, ce n'est pas une
fantaisie
marginale. Bien entendu, l'auteur remonte beaucoup plus loin dans
l'arbre généalogique des primates. Et
là encore on retrouve des paliers avec des
paramètres (angulaires cette fois) prévisibles.
Pour plus de détails sur la polémique
féroce que cela a générés,
l'accusant d'aller vers l'Intelligent Design alors qu'elle était
athée au départ, voir résumé de son ouvrage. On note que Sören Lövtrup aussi a été (s'est lui-même ?) impliqué dans l'Intelligent Design.
Le point de vue, le paradigme, dominant (néodarwinisme) suppose
que les mutations sont parfaitement aléatoires, qu'il n'y a pas
lieu de mesurer, ce qui est pourtant la pratique scientifique la plus
basique et la plus universelle.
Et
donc, de mon tout petit point de vue
béotien je
n'exclus ni que tout le monde ait raison, ni que tout le monde ait
tort. Parce que cela peut aussi être vu comme une histoire de
compteur.
Queues
Les
nombreuses
espèces de mésanges sont réparties
entre les
familles des paridés et des aegithalidés. Une
d'entre elles est la
Mésange à longue queue (Aegithalos caudatus). De
fait, sa
queue est plus de
deux fois plus longue que celle des autres mésanges et
même des autres aegithalidés.
Le point
intéressant, c'est qu'il n'y a pas autant que je sache
d'espèce à queue intermédiaire. Et il
semble en
être de même pour les pies par rapport aux autres
corvidés (corbeaux, geais...), pour les aras par rapport aux
autres perroquets, pour les bergeronnettes par rapport aux autres
motacillidés (pipits...), pour les paons et les faisans
mâles par rapport aux autres phasianidés (dindons, paons
congolais)..
Car cela se corse chez les gallinacés puisqu'il y a parfois la
même différence entre mâles et femelles. Et
même chez nos coqs par rapport à nos poules, si on veut
bien considérer que les plumes de la queue des coqs sont
enroulées.
Têtes
Personne
n'a jamais supposé un ancêtre commun que
partageraient un
sapajou, une vache, un rhinocéros "blanc" (gris en fait)
mais
que ne partageraient pas un chimpanzé, une
chèvre, un
rhinocéros "noir" (idem). Il n'empêche que les
premiers
ont des narines très écartées, dans
les
mêmes proportions, et pas les seconds. Il n'y a pas
d'intermédiaire autant que je sache, c'est l'un ou l'autre.
Pattes et gueules
Une
race de chiens bassets est
apparue d'un seul coup, dans une seule portée de brunos du
Jura (chiens de chasse courants à pattes normales). Les
autres races de bassets sont issues d'autres origines (les bassets sont
donc polyphylétiques), mais les
paramètres (longueur des pattes par rapport au reste)
semblent les mêmes. Il parait qu'il y a eu des
rhinocéros bassets au Pliocène. Je cherche les
"demi-bassets". Pour l'anecdote (qui devrait pouvoir être
confirmée), il m'a été signalé
récemment que le produit d'une union basset-boxer a des pattes
de basset et une tête boxer. Et n'en serait-il pas de même
pour les belettes, fouines, furets, et autres mustélidés
? Dans ce cas on pourrait avoir une spéciation en une seule
génération : il y a difficulté d'accouplement
entre pattes courtes et pattes longues, et les rejetons ne peuvent plus
traquer les mêmes proies que leurs parents... mais peuvent en
atteindre d'autres inaccessibles à ces mêmes parents, dans
les terriers ou sous les taillis. Il a bien dû y avoir des
millions de fois plus d'occasions dans la bonne vieille nature que dans
les élevages humains.
Toujours chez les chiens, les divers lévriers ne semblent pas
avoir d'ancêtre lévrier commun. On peut peut-être
retrouver les mêmes différences, avec les mêmes
paramètres, sans intermédiaire, par exemple entre
crocodiles et caïmans.
Histoires de bois
Parmi
les exemples que j'ai dénichés de ce principe de
doublement de poids (donc en une seule
génération), il y a la famille
Cervidés. On passe par doublement du Cerf de Virginie au
Cerf élaphe, puis de ce dernier au Wapiti, puis par
quadruplement du Wapiti au Mégacéros (fossile
récent). Mais il s'y ajoute un autre paramètre :
quand la taille globale augmente d'un facteur 1,26 (en gros),
l'envergure des bois augmente, elle, de 1,41 (racine carrée
de deux), les bois sont de plus en plus disproportionnés.
Il en est de même pour les oreilles des lagomorphes (pikas, lapins de diverses tailles, lièvres).
Pour finir par le commencement, une hypothèse...
Tout
cela mis bout à
bout ne me rapproche pas de l'ID, mais d'une
idée (nouvelle ?) : il y a quelque part dans notre ADN ou ailleurs un
mécanisme qui régule le nombre de
générations de cellules, donc de doublements du
volume donc du poids, de tout ou partie d'un organisme. Si ce nombre
est augmenté ou diminué d'une unité il y a
doublement ou dédoublement du volume, donc automatiquement du
poids. Ce doublement
ou dédoublement entraine
mathématiquement, si rien ne change par ailleurs (ce n'est
bien sûr pas le cas général), une
augmentation ou diminution de longueur de rapport 1,26 (ou
exceptionnellement 1,41 si l'expansion est à deux
dimensions). Quant
à trouver le mécanisme, ce n'est pas à ma
portée. Je ne peux pas tout faire. Une tentative :
Un
mâle et une femelle font leur petite affaire, permettant à
une ovule et un spermatozoïde de faire leur petite affaire. Il en
sort d'abord ce qu'on appelle une morula
soit deux, puis quatre, puis huit, puis éventuellement seize,
puis éventuellement trente-deux, puis éventuellement
soixante-quatre, cellules indifférenciées. On passe alors
à la suite du programme, donc à autre chose. Les
génération suivantes de cellules commencent à se
différencier. Il en est ainsi chez tous les animaux
pluricellulaires à reproduction sexuée.
Cela
suppose, quelque part dans les gènes (quoique pas forcément) un compteur.
A moins de nier l'évolution, cela suppose en outre que ce
compteur a pu passer en une seule
génération (de l'individu entier) à une
génération de plus ou de moins (de cellules avant
diversification). Mais est-ce
que ce processus ne pourrait pas expliquer bien d'autres phases de la
croissance et bien des mutations ? Est-ce que l'évolution
procéderait par sauts brusques (c'est quand même ce que
cela implique) ? En simplifiant à l'extrême, il semble
globalement que oui. Par exemple la théorie
des équilibres ponctués,
de Stephen Jay Gould et Nils Eldredge, s'efforce de prendre en compte
les longues périodes de stabilité suivies de changements
soudains. En fait cela n'explique rien, c'est un constat. Peut-on aller
plus loin ? En tout cas, j'essaie...
Jean Roche
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