21 : MARTYRS


Ces pages sont consacrées aux discours autogènes, rumeurs, idéologies, ensembles d'informations que l'on tend à répéter le plus possible, à prendre en compte le plus possible, poussé(e) à cela non par la valeur de ce discours, mais par une illusion qui se transmet en même temps que lui.  Retour au menu

Ce qui suit est constitué (sauf partie en rouge), de très brefs extraits d'un ouvrage, "Martyrs", pour lequel je n'ai pas totalement renoncé à trouver un éditeur.
 

Généralités

Martyrs du début du Christianisme

Maximilien Kolbe

Edith Stein

Islam

Horst Wessel
 
 

Généralités

Un martyr (masculin, sans e final), ou une martyre (féminin), est d'abord une personne qui a sacrifié sa vie pour une cause. Le martyre (masculin, avec un e final) est le fait, pour une personne, de donner sa vie pour une cause. Il y a aussi bien sûr des sens dérivés, par extension : tout homme qui souffre devient un martyr qui subit le martyre. Mais dans la suite nous ne nous intéresserons qu'aux martyrs "au sens strict", donc pleinement volontaires, pour autant qu'on puisse en juger. Cela n'implique pas que la définition soit nette et définitive. Il y aura des cas-limites. Et libre à chacun de retrancher ou d'ajouter.

Quoi qu'on fasse ou ne fasse pas, on n'est jamais totalement sûr d'être vivant, ni d'être mort, dans les heures qui suivent. On peut donc choisir la voie du martyre et survivre, comme on peut l'éviter et mourir. Nous allons parler, presque toujours, de défunts. Il y aura quelques exceptions.

En quoi un martyr, ou plus exactement une histoire de martyre, est-elle autogène ? Cela frappe d'abord les imaginations parce qu'en général nous tenons à notre peau et nous attendons des autres qu'ils tiennent à la leur, que nous les aimions ou pas. Mais c'est surtout l'idée-force "Telle personne a donné sa vie pour notre cause, donc notre cause est sacrée et indiscutable !" qui est puissamment autogène. Vérification impossible puisqu'on ne peut plus interroger la persone martyre pour évaluer la valeur de sa conviction, et si elle n'avait pas été plus ou moins manipulée. Et quiconque met en cause l'utilité du martyre se voit automatiquement soupçonné de lâcheté... 
 
 

 

retour

 

Martyrs du début du Christianisme

Innombrables ont été, après Etienne, les martyrs chrétiens des premiers siècles de l'Église, tant les 
Empereurs successifs (certains au moins) ont mis d'acharnement à éradiquer la nouvelle religion. Il est admis aujourd'hui que les chroniques qui rapportent leurs vies ont été souvent embellies, quand elles ne sont pas purement légendaires. Le Pape Paul VI a jugé nécessaire de retirer de la liste des saints certains noms, dont l'authenticité historique était plus qu'incertaine.

 Même en s'en tenant à ceux qui figurent sur le calendrier, il serait fastidieux de passer en revue tous ces martyrs. Si certains récits sont manifestement sobres, réalistes, et crédibles, d'autres ont été tout aussi manifestement arrangés, embellis parfois au-delà de toute mesure. Voici trois histoires de martyrs chrétiens des premiers siècles qui présentent une certaine particularité : l'histoire est connue en deux versions bien différentes, alors qu'il s'agit de la même personne à chaque fois.

 Saint Maurice, première version
 Dans les toutes dernières années du troisième siècle, sous l'Empereur Maximien, c'est une légion romaine toute entière (environ six mille hommes), la "légion thébaine" qui s'est convertie à la religion interdite. Cantonnée en Orient, elle reçoit l'ordre de marcher vers l'ouest, sans d'abord savoir pourquoi. Ce n'est qu'en traversant les cols du Valais, qu'elle l'apprend : elle doit participer à une 
répression de Chrétiens. Et sous l'impulsion de son chef, Maurice, elle s'arrête, comme un seul homme, en un endroit qui s'appelle aujourd'hui Saint-Maurice, et refuse de continuer. L'Empereur, devant cette rébellion sans précédent, prend personnellement les choses en main. Il fait entourer 
les mutins par des troupes sûres, réitère ses ordres. Nouveau refus. Maximin menace de les faire décimer (au sens premier du terme : un homme sur dix, tiré au sort, est flagellé puis décapité). Rien à faire. On procède à une première décimation, puis à une deuxième. Pour finir, la légion thébaine est exterminée.
 Cette version, racontée plus d'un siècle après les faits allégués, est généralement considérée comme peu vraisemblable. La suivante est plus plausible.

 Saint Maurice, deuxième version
 Même époque, même endroit, même cadre, l'armée romaine. Mais Maurice n'est plus que décurion, sous-officier. Il est mis à mort avec une poignée de soldats pour avoir obstinément 
refusé de participer à un sacrifice païen.
 Si la deuxième version paraît plus vraisemblable, ce n'est pas seulement parce qu'elle est plus "modeste". Elle correspond aussi au cas le plus courant. On martyrise la personne chrétienne non parce qu'elle est chrétienne, mais parce qu'elle a refusé de sacrifier aux dieux païens. Il paraît que certains juges bien intentionnés ont répété longuement, et en vain, à des prévenus qu'ils connaissaient bien (car persécuteurs et persécutés appartenaient souvent au même milieu) : "Qu'est-ce qui vous empêche de brûler un peu d'encens ? S'il y a mal, je le prends sur moi ! Et vous pourrez toujours pratiquer votre religion après !"

 Car, et c'est là une quasi constante dans les persécutions des troisième et quatrième siècles, ce n'était pas le culte chrétien qui était interdit, ni aucun autre à moins de comporter des sacrifices humains, c'était le culte païen officiel qui était obligatoire.

 Cette version de l'histoire de Maurice pose malgré tout un problème. Car à cette époque, depuis un édit de Gallien de 260 respecté par tous ses successeurs (tous païens pourtant) et pour quelques années encore, le Christianisme était accepté, et ses adeptes très officiellement dispensés de sacrifier aux dieux païens. Mais on sait aussi que les armées ne sont pas toujours respectueuses des droits et libertés de leurs soldats.
 

 Sainte Agnès, première version
 C'est cette version qu'a retenu l'Église d'Occident. Agnès était une jeune fille de treize ans, qui déjà s'était consacrée au Seigneur. Un jour elle est arrêtée, sommée de sacrifier aux dieux. Elle refuse. On l'attache à un poteau, on laboure sa chair avec des ongles de fer. Elle reste ferme et paraît même ravie, alors que toute l'assistance pleure. Un beau jeune homme lui propose de l'épouser, pensant lui redonner le goût de vivre. Elle refuse encore : "C'est faire injure à mon fiancé céleste que d'espérer me plaire..." Elle apostrophe directement le bourreau : "Pourquoi ces retards ? Que périsse ce corps qui peut plaire à d'autres qu'à mon bien-aimé !" Enfin, on lui coupe la tête.

 Sainte Agnès, deuxième version
 Celle de l'Église d'Orient. Agnès est cette fois fille d'une famille illustre. Le gouverneur de Rome en personne veut la faire sacrifier aux dieux, et il la menace de la conduire dans un lupanar si elle persiste. Elle persiste, il met sa menace à exécution. La voici vouée à la prostitution. Mais aucun homme ne veut d'abord la prendre, tant son visage est angélique. Un client particulièrement brutal se décide... et tombe mort aux pieds de la jeune fille. Elle le ressuscite par charité, et c'est encore vierge, et rayonnante de joie, qu'elle est emmenée pour être brûlée vive.

 Cette fois, il est difficile de trancher entre les deux versions. La résurrection dans la deuxième est le seul élément qui passe mal, qui ressemble fort à un enjolivement postérieur. Mais par ailleurs, on sait que menacer les jeunes Chrétiennes de les abandonner à des proxénètes était une méthode courante. La première version verse quelque peu dans la mièvrerie, mais cela ne la rend pas incroyable.

 Agathonice : encore deux versions
 Version grecque : à la fin du deuxième siècle, deux Chrétiens, Carpus et Papylus, restés constants dans leur foi au milieu des pires tortures, sont finalement brûlés vifs. Une Chrétienne, Agathonice, décide subitement de les rejoindre sur leur bûcher. "Ce repas a été préparé pour moi : il faut donc que j'aie part à ce glorieux repas !" Et puisque les deux condamnés sont nus, elle aussi, spontanément, se déshabille avant de se jeter dans les flammes. La foule horrifiée lui rappelle qu'elle a un enfant en bas âge. Cela ne l'arrête pas.

 Version latine : Agathonice est arrêtée, torturée, jugée et suppliciée exactement en même temps et dans les mêmes conditions que les deux hommes. On ne peut rien prouver, mais il est vraisemblable que son rédacteur a préféré normaliser l'histoire. Moins sans doute à cause du strip-tease incongru  (sans importance pour des Romains, même chrétiens) que de l'auto-dénonciation, véritable suicide condamné à ce titre par l'Église... et néanmoins fort répandue puisqu'à certaines époques les magistrats romains excédés ont prié les Chrétiens trop ardents de bien vouloir se tuer eux-mêmes et de cesser d'importuner les autorités.
 

retour

   

 

Maximilien Kolbe

 Auschwitz, 30 juillet 1941. Il s'agit du camp de travail dit Auschwitz I, pas du camp d'extermination (Auschwitz-Birkenau) qui du reste ne fonctionne pas encore. On découvre à l'appel qu'un homme du bloc 14 a disparu, probablement évadé. Le commandant SS Fritsch, furibond, annonce que, s'il 
n'est pas retrouvé avant le soir, dix autres détenus de ce bloc seront choisis au hasard et condamnés à mourir de faim et de soif. Ainsi, à l'avenir, les autres seront plus prompts à dénoncer les velléités d'évasion. La journée de travail se passe dans l'angoisse qu'on imagine.

 Le soir, le bloc 14 est de nouveau rassemblé. Fritsch annonce que le fugitif n'a pas été retrouvé, et aussitôt il lance les noms, plus exactement les numéros, des dix victimes. Parmi eux un certain Francis Gajownicezek, qui se lamente sur le sort de sa femme et de ses jeunes enfants. C'est alors qu'un des hommes non désignés sort des rangs (risquant d'être abattu rien que pour cela) et demande à prendre sa place. Le commandant lui demande : "Qui êtes-vous ?
 - Un prêtre catholique...
 - D'accord, allez-y..."
 Et Maximilien Kolbe, un franciscain polonais, prend la place de Francis Gajownicezek. Les dix sont conduits dans le sous-sol d'un bunker, déshabillés, enfermés. Ils ne disposent rigoureusement que de seaux pour leurs déjections. Ils boiront leur urine pour échapper au moins à la soif. Les 
quatre plus résistants, dont Kolbe qui réconfortera jusqu'au bout ses compagnons, recevront une injection mortelle au bout de seize jours.

 Le 9 novembre 1982, à Rome, le Pape Jean-Paul II canonise Kolbe, son compatriote, qui devient donc, "pour l'éternité", Saint Maximilien Kolbe. Devant une foule évaluée à près de deux cent cinquante mille personnes avec, au premier rang, Francis Gajownicezek. Et qu'on ne s'y trompe pas, quarante-et-un ans représentent une attente remarquablement courte en la matière. Il reste donc à parler de l'"exploitation" (sans nuance péjorative) du martyr par ses ayant-droits, donc l'Église à laquelle il appartenait. Il paraît que Kolbe n'avait même pas besoin d'Auschwitz pour être déclaré saint, l'héroïcité de ses vertus et ses miracles étant dûment attestés (juste un bémol, ennuyeux quand même pour une victime d'Auschwitz : Kolbe a été taxé d'antisémitisme). Pourtant, c'est sur son statut en tant que martyr que les discussions ont été les plus laborieuses au sein de la Congrégation chargée d'étudier les dossiers de canonisation. Car donner sa vie pour celle d'un autre par compassion (ou considérer qu'il est préférable de laisser vivre un chargé de famille qu'un célibataire plus âgé) n'est pas spécifiquement chrétien. Et certains, au sein de l'Église, se sont évertués, en vain, à faire de Kolbe un martyr spécifiquement chrétien, à le faire en quelque sorte rentrer dans la norme. Quitte même à affaiblir la signification de son sacrifice. On a donc longuement questionné les témoins survivants. On espérait trouver des indices suggérant que le franciscain avait bien été tué, quelque part, "en haine de la foi". Cette haine était relativement répandue parmi les SS, mais dans ce cas précis, rien à faire. Fritsch n'avait pas montré le moindre signe d'une quelconque jubilation ou satisfaction à la perspective de faire mourir un prêtre. Sinon, d'ailleurs, ne l'aurait-il pas désigné d'office parmi les condamnés ? Il voulait ses dix victimes pour prévenir les évasions, et sorti de là se montrait, si l'on ose dire, conciliant. Il a donc fallu se contenter de formules telles que "martyr de la charité".
 

retour

 

 

 

Edith Stein

Edith Stein (1891-1942), née Juive allemande, s'est convertie au Catholicisme en 1922, après un passage par l'athéisme. Elle devint carmélite sous le nom de Soeur Thérèse Bénédicte de la Croix. En 1938, avec la montée de l'antisémitisme nazi, elle se réfugia en Hollande. Déportée à Auschwitz après l'invasion de ce pays par les Allemands, elle y disparut. Il est naturel et légitime que des Catholiques se réjouissent d'une telle conversion, comme il est naturel et légitime que des Juifs la déplorent. Le problème n'est pas là. Le problème est que l'Église catholique a béatifié Édith Stein en 1987, puis canonisée en 1998, et ce en tant que martyre chrétienne ! Accessoirement, elle l'a été sous le nom d'Édith Stein, et non de Thérèse Bénédicte de la Croix, contrairement à l'usage pour le Carmel (on a inscrit au calendrier Jean de la Croix et non Jean de Yepes, Thérèse de l'Enfant-Jésus et non Thérèse Martin).

D'où protestations virulentes des milieux juifs (pour un point de vue juif sur cette affaire, nous suivrons Paul Ginievski, "La croix des Juifs", MJR, Genève, 1994). Edith, selon eux, avait été massacrée en tant que Juive, et l'aurait été aussi bien si elle s'était convertie au Taoïsme. Il y a pour eux récupération inadmissible.

D'autant que, d'une manière générale, ils ne sont pas satisfaits de l'attitude de l'Église vis-à-vis de la Choah, pendant, après, et jusqu'à nos jours. Ils rappellent à l'occasion ces tracts bien intentionnés, les invitant à reconnaître le Christ, qu'on leur distribuait alors qu'ils commémoraient la déportation du Vel d'Hiv. Également, ces enfants juifs confiés à des familles catholiques, et que leurs propres familles eurent le plus grand mal à récupérer parce qu'ils étaient devenus catholiques. Enfin, cette affaire coïncide fâcheusement avec celle des carmélites installées dans l'enceinte d'Auschwitz. Bref, ils voient dans la béatification d'Édith Stein une offense supplémentaire s'ajoutant à une trop longue liste.

 De plus, il n'y a même pas eu martyre au sens strict : après avoir fui l'Allemagne, elle a encore tenté, jusqu'au dernier moment, de se réfugier en Suisse. Simplement, au moment de son arrestation, elle a déclaré donner sa vie pour racheter l'incroyance du peuple juif. D'où une controverse supplémentaire qui n'arrange rien : voulait-elle signifier par là que les Juifs devaient venir au Christianisme, ou revenir à leur propre religion délaissée ?
 Nous l'avons vu, l'Église ne béatifie pas à l'aveuglette, sans avoir longuement étudié le cas, mesuré 
toutes les implications. Kenneth Woodward, déjà cité, a pu interroger le responsable du dossier Stein au sein de la Congrégation, Eszer, un Dominicain Allemand. Ce dernier, pour prouver le martyre, a utilisé des documents retrouvés en 1980 dans un institut d'Amsterdam. On y découvre que les nazis auraient été disposés à épargner les Juifs hollandais convertis au Catholicisme si seulement les évêques acceptaient de ne pas rendre publique leur opposition à l'ordre de déportation. Donc, pratiquement, laissaient déporter et massacrer sans rien dire les Juifs de religion juive, ou sans religion. C'est le refus des évêques qui aurait provoqué la déportation rapide des Juifs convertis, donc d'Édith Stein. Cette dernière serait ainsi morte pour préserver l'honneur de l'Église de Hollande, dont elle était solidaire.

C'est ce point de vue que Jean-Paul II a développé lors de la cérémonie de béatification : "Dans le camp d'extermination elle mourut comme une fille d'Israël pour la gloire du Nom le plus Saint et, en même temps, comme soeur Thérèse Bénédicte de la Croix, littéralement "bénie par la croix". La cause de son martyre fut la lettre de protestation des évêques hollandais contre la déportation des Juifs". Du fait de son grand désir de s'unir aux souffrances du Christ sur la Croix, elle a donné sa vie, selon le Pontife, "pour une paix authentique" et "pour le peuple".
 Cela n'a pas apaisé les Juifs.
 

retour

 

 

Islam

Comme pour le Christianisme, la notion de martyr (chahid en arabe) est une pièce maîtresse de l'Islam. Avec une différence fondamentale : le martyr musulman ne tend pas toujours la gorge au bourreau. Il peut, et doit dans la mesure du possible, vendre chèrement sa vie. Pour mieux l'y inciter, sa religion l'assure que non seulement il est assuré de gagner le Paradis s'il succombe, mais il pourra y intercéder pour ceux qu'il aime, plaider leur cause devant le Juge suprême. Ce privilège, un seul non-martyr en bénéficie : le Prophète lui-même (mort de maladie).

Les martyrs au sens chrétien (refusant d'abjurer face à un adversaire de leur religion qu'ils ne peuvent ni fuir ni combattre) ne sont guère connus en Islam puisqu'il y est plus facilement admis que l'on simule une abjuration pour sauver sa vie.

Les histoires édifiantes les plus typiques de l'Islam sont celles d'hommes à qui il a été prédit, d'une manière ou d'une autre, qu'ils perdront la vie dans un certain combat, et qui non seulement l'on accepté mais s'en sont ostensiblement réjouis, ou même ont prié pour l'obtenir...

En 630, la toute nouvelle armée musulmane, après avoir conquis La Mecque, s'attaque pour la première fois à des adversaires non arabes. Et rien moins que l'empire de Byzance, qui vient d'infliger une dure défaite aux Perses. Le Prophète n'y participe pas, mais il donne ses instructions. L'étendard sacré doit être tenu d'abord par Zéide. Ce dernier a été, avant la révélation islamique, capturé dans une guerre, puis donné comme esclave au futur Prophète, qui s'est attaché à lui. Le père de Zéide a voulu le racheter pour le rendre à la liberté mais Zéide préférait rester avec Mahomet, qui pour le coup l'a affranchi, et adopté comme son fils. Zéide a encore un mérite particulier. 

Après l'Hégire, un jour que Mahomet entrait chez Zéide, il a rencontré par hasard l'épouse de ce dernier, Zaïnab, non voilée, et il n'a pu retenir un cri d'admiration. La femme devait le raconter à son mari, qui aussitôt décida de la répudier pour la donner au Prophète . 

Cette anecdote un peu trop édifiante a été expliquée autrement par certaines chroniques : Zéïde et Zaïnab s'entendaient mal, se disputaient durement. Le Prophète, désolé de cette situation, tentait de les réconcilier. C'est ainsi qu'il aurait été amené à faire l'éloge de Zaïnab. A quoi Zéïde aurait en substance répliqué : "Si tu la trouves si bien, prends-la donc !" Mahomet refusa d'abord, mais une révélation divine le conduisit à accepter. Un élément rend cette version vraisemblable : Zéide, par la suite, divorça à nouveau, deux fois.

Donc, le glorieux drapeau doit être entre ses mains, ce qui le désigne comme chef. S'il est tué, l'honneur de le remplacer échoit à Jafar, cousin du Prophète et celui de tous ses parents qui lui ressemble le plus physiquement. Il a dirigé sans bavure une émigration musulmane en Éthiopie. Si Jafar succombe, un certain Abdallah, secrétaire estimé du Prophète, doit relever l'étendard. Si Abdallah meurt à son tour, l'armée doit désigner elle-même son porte-drapeau et chef.

La bataille s'engage à Muta. Zéide, en première ligne, se fait tuer. Jafar relève le fanion. Sa main droite étant coupée dans le combat, il le brandit de la gauche, tranchée à son tour. Il réussit encore quelques secondes à le tenir entre ses moignons avant de succomber. Abdallah le remplace comme prévu, est tué à son tour.

Tous trois étaient des Musulmans de la première heure. Celui qui est désigné pour reprendre encore le drapeau et le commandement, Khaled, est un converti de fraîche date, longtemps ennemi de l'Islam à qui il a infligé sa seule défaite militaire à ce jour. Il montre a nouveau ses exceptionnels dons de combattant, et remporte la victoire, ou du moins évite une défaite écrasante. Khaled méritera le surnom d'"Epée de Dieu" et gagnera bien d'autres bataille avant d'être destitué par Omar, le deuxième calife, pour de multiples abus de pouvoir.

En 641, les Musulmans assiégeaient la ville perse de Touster, et les opérations traînaient en longueur. Des combats acharnés faisaient beaucoup de morts dans les deux camps. Le découragement gagnait. Un des combattants arabes, nommé Bera, avait été compagnon du Prophète. Il était très pieux et sa prière passait pour particulièrement efficace. Si bien qu'Omar, le Calife, disait régulièrement, avant tout combat auquel Bera participait : "Que l'on exige de chacun qu'il combatte, mais que l'on exige de Bera qu'il prie !" Alors, ses compagnons vont trouver Bera et lui demandent de prier pour la victoire. Bera s'exécute aussitôt : "Dieu, accorde-moi le martyre, et aux Musulmans la victoire !" Le lendemain, il est tué par une flèche au cours d'un assaut, qui reste néanmoins infructueux. Mais la nuit suivante, un habitant de Touster trahit les siens et livre la cité aux Musulman contre la promesse de la vie sauve.
 

retour

 

 

 

 

Horst Wessel

Fils d'un prédicateur, Horst Wessel avait rejeté son éducation et s'était voué corps et âme au parti nazi. Enrôlé dans les chemises brunes, il se distinguait dans les combats de rue. Par ailleurs il s'était épris d'une ancienne prostituée (ce qui a suffi, apparemment, à en faire un proxénète pour certains, passons), prénommée Ernie. Il fut abattu en février 1930. Et son assassin était un communiste, mais aussi une ancienne relation de cette même Ernie, à qui il aurait crié : "Tu sais pourquoi !"

Il fallait une certaine dose de mauvaise foi pour en faire un pur martyr, d'autant que les nazis ne reculaient eux-mêmes devant aucune violence. Mais Josef Goebbels était insurpassable en matière de mauvaise foi et de propagande. Il fit organiser pour le jeune homme de grandioses funérailles, sans toutefois pouvoir y faire assister Hitler en personne. L'hymne écrit par Wessel (sur un ancien air de cabaret) devint l'hymne du nazisme.

Il y avait peut-être une motivation plus subtile, plus perverse, à cette mise en scène. A cette époque les rapports entre nazis et communistes n'étaient pas toujours et partout aussi hostiles, et il leur arrivait encore de faire manifestation commune. Car les premiers n'avaient pas tous oublié qu'ils étaient national-socialistes (nazionalsocialistische, abrégé par la suite en nazi), y compris peut-être le Führer lui-même. Car Hitler restait très lié avec Gregor Strasser, partisan déclaré, lui, du national-bolchévisme. Ce n'était pas du goût de tout le monde. Quelques années plus tard, la "nuit des longs couteaux" allait définitivement régler la question par la liquidation physique des leaders de cette tendance, qui avait probablement été majoritaire (on présenterait à Hitler l'assassinat de Gregor Strasser comme une regrettable méprise). Mais en attendant, creuser le fossé avec les communistes en y glissant un martyr de choc arrangeait bien l'autre côté.

Ce qui précéde ne doit pas faire oublier que d'innombrables personnes ont, avec une abnégation et une sincérité navrantes, donné leur vie pour le Nazisme.
 
 

haut

retour