Phénomènes bizarres,
étranges et inexpliqués
Tel est le titre français
d'un ouvrage fortéen classique (John Michell et
Robert Rickard, Phenomena, Thames & Hudson, 1977,
Belfond 1980 pour la traduction française). La
doctrine fortéenne (dans la mesure où l'on
peut parler de doctrine) vient du journaliste
américain Charles Fort (1874-1932). Les
fortéens recueillent des témoignages sur des
phénomènes étranges, et d'autant plus
intéressants pour eux qu'ils sont plus inexplicables
et plus saugrenus. L'explication ? S'il y en a une, ce n'est
plus intéressant.
Un chapitre est consacré
à l'irritant problème des mutilations de
bétail aux USA. Et à côté des
hypothèses classiques, OVNI ou
expérimentations militaires occultes, on trouve le
cas suivant. "Dans
The
Unindentified (1975),
Jérôme Clark rend compte de son investigation
sur une série de meurtres bizarres d'animaux autour
de Rochdale, dans l'Indiana, au cours desquels environ
cinquante personnes déclarèrent avoir vu dans
la région une "chose ressemblant à un
gorille". Le 22 août 1972, deux membres de la famille
Burdine rentrèrent à la ferme pour
découvrir environ soixante poulets
éventrés, mais non mangés. A la suite
d'une première rencontre avec la "chose", ils la
revirent à nouveau, éclairée par les
phares de leur voiture, encadrée dans la porte du
poulailler. Ils tirèrent sur elle, au moment
où elle s'éloignait lourdement. Dans le
poulailler, 170 des 200 poulets avaient été
"éventrés et vidés de leur
sang"...
On ne savait pas encore que
l'éventration d'animaux sauvages ou domestiques est
une pratique courante de Bigfoot, surtout à
l'est.
Un autre chapitre s'intitule
"Hommes sauvages". On y apprend que : "Un des supports de l'écu du comte
d'Atholl, de la famille Murray, est un homme sauvage
enchaîné, commémorant ainsi la prise
d'un sauvage dans les roches de Craigiebarns au
XVIIème siècle par l'un des Murray, à
qui fut offerte, à titre de récompense, la
main de l'héritier des Atholl et la succession au
titre..."
Même dans des dossiers a
priori sans rapport, on peut trouver des choses. Ainsi,
toujours dans le même ouvrage, un chapitre est
consacré à ces idéalistes (?) qui s'en
vont explorer le mont Ararat (Turquie) pour y retrouver les
restes de l'Arche de Noé, ce qui bien sûr n'est
pas notre sujet. Il n'empêche que l'un d'eux,
particulièrement persévérant puisqu'il
y mena pas moins de sept expéditions, "prit sa retraite (...) après une
carrière riche en aventures, dont celle d'avoir
été poursuivi par un ours lui lançant
des pierres, phénomène unique dans nos
annales..."
La confusion HR-ours étant
classique, et pas toujours dans le sens postulé par
les incrédules, il est facile de comprendre que cet
ours lanceur de pierres était un almasty (à
moins, le texte étant vague, que cela ne se soit
produit au pays natal de notre héros, la Californie,
auquel cas il s'agirait d'un bigfoot).
Avant-première à
l'Everest
Changement total d'esprit. Ce livre
est cosigné par Gabriel Chevalley, René
Dittert et Raymond Lambert (Arthaud, 1954), trois alpinistes
suisses qui ont tenté pour la première fois
l'ascension de l'Everest par le sud, et ouvert la voie
à l'expédition anglaise victorieuse de
l'années suivante. Les Suisses ont
côtoyé des yétis, mais le plus
significatif est peut-être la façon dont les
auteurs esquivent un problème qui semble les
irriter.
Voici comment le chef de la
première expédition, René Dittert,
expédie l'affaire (sur son journal, à la date
du 19 avril) : "(...) Lombard
et Zimmermann sont montés jusqu'à 5050
mètres. Lombard s'est penché sur les traces de
l'"abominable homme des neiges". Abominable parce qu'il
soulève la curiosité sans la satisfaire.
Invisible, le yéti laisse ses empreintes dans la
neige et l'inquiétude au coeur des poètes,
mais l'homme de science mesure les marques de pas et ignore
la crainte : 29 centimètres de longueur, 12
centimètres de largeur. Les pas de 51
centimètres se développent sur une ligne
unique. Qu'en penser ?"
Quelques pages plus loin, à
la date du 23 avril : "Wyss, Lombard et Zimmermann rentrent
très excités. Ils ont vu, touché,
photographié des traces de yéti ; mais,
de yéti vivant, pas trace ! En revanche,
Zimmermann a débusqué une panthère des
neiges..."
Et c'est tout pour le texte. Il
n'en sera pas question lors du bilan de l'expédition.
Une photo des empreintes (des secondes, faut-il supposer,
car on voit qu'elles ne mesurent qu'environ 20
centimètres, un mètre ruban étant
déroulé à côté) est
montrée, avec ce commentaire en guise de
légende : "Selon l'hypothèse du Museum
d'histoire naturelle britannique (1936), il pourrait s'agir
d'un grand singe Langour, peut-être d'un Presbytis
entellus achilles..." Si autorisée que fût
cette dernière hypothèse, elle ne tenait pas.
Le singe en question dépasse rarement le mètre
de long, queue comprise. Alors des empreintes de 29 ou
même 20 centimètres...
J'ai
eu l'occasion d'entendre quelqu'un qui avait connu Zimmermann affirmer
que ce dernier avait vu non seulement des traces mais un yéti.
Il ne semble pas qu'on se soit
soucié d'interroger les Sherpas, ou en tout cas de
retranscrire leur point de vue sur le sujet. Il est vrai que
ces derniers, y compris leur "sirdar" Tensing Norkey (qui
s'arrêta cette fois-là à 8600
mètres en compagnie de Raymond Lambert,
préparant son succès de l'année
suivante avec un certain Edmund Hillary), avaient
déjà dit ou allaient dire ce qu'ils savaient
à d'autres chercheurs.
Un élément donne un
certain poids et une certaine valeur à cette double
observation d'empreintes de yéti : le signalement
d'une panthère des neiges dans la même zone,
car yéti et panthère des neiges s'associent
(voir Robert Hutchison, "On the tracks of the yeti",
Macdonald & co, Londres, 1989, traduit en
français : "Sur les traces du yéti, Lafont,
1991).
Ayant échoué de peu,
seulement à cause de la mauvaise qualité de
leurs appareils à oxygène, les Suisses
lancèrent une deuxième tentative en automne,
cette même année, pour échouer à
nouveau, cette fois à cause d'une météo
défavorable. Plus question de yéti dans le
compte-rendu détaillé, au jour le jour, de
Gabriel Chevalley, chef de l'expédition. Or, il
s'était produit rien moins que l'attaque d'un porteur
par un yéti, non loin du camp de base. L'agresseur
avait été mis en fuite par les camarades de
l'agressé (Robert Hutchison, opus
cité).
Les
enfants du capitaine Grant
C'est bien du roman de Jules Verne
qu'il est question. Les héros, à la recherche
du capitaine Grant, en compagnie de personnages plus ou
moins recommandables, traversent une portion du sud de
l'Australie.
"Un singe ! voilà un
singe !"
Et il montrait un grand corps noir
qui, se glissant de branche en branche avec une surprenante
agilité, passait d'une cime à l'autre, comme
si quelque appareil membraneux l'eût soutenu dans
l'air (...).
Pendant une dizaine de ligne on ne
doute pas qu'il s'agit d'un singe (même si on sait
qu'il n'y en a pas de connu en Australie).
"Ah ça ! qu'est-ce que c'est
que ce singe-là ? demanda le
major ?
- Ce singe-là, répondit
Paganel, c'est un Australien pur sang !"
Plus loin, on trouve une
description plus précise des créatures en
question : Ces
indigènes, hauts de cinq pieds quatre pouces à
cinq pieds sept pouces, avaient un teint fuligineux, non pas
noir mais couleur de vieille suie, les cheveux floconneux,
les bras
longs, l'abdomen
proéminent, le corps
velu et couturé par
les cicatrices du tatouage ou par les incisions
pratiquées dans les cérémonies
funèbres. Rien d'horrible comme leur figure
monstrueuse, leur bouche
énorme, leur nez
épaté et écrasé sur les
joues, leur mâchoire inférieure
proéminente,
armée de dents blanches, mais proclives. Jamais
créature humaine n'avait présenté
à ce point le type d'animalité.
- Robert ne se trompait pas, dit le
major, ce sont des singes - pur sang, si l'on veut -, mais
ce sont des singes !
- Mac Nabbs, répondit Lady
Helena, donneriez-vous donc raison à ceux qui les
chassent comme des bêtes sauvages ? Ces pauvres
êtres sont des hommes.
- Des hommes ? s'écria Mac Nabbs ! Tout
au plus des êtres intermédiaires entre l'homme et l'orang-outang
! Et encore, si je mesurais leur angle
facial, je le trouverais aussi
fermé que celui du singe !
(souligné par moi)
C'est bien d'Aborigènes qu'il
est question. N'auraient-ils été vus
qu'à travers de grossiers préjugés,
comme ceux qui ont fait dire à un diplomate du
dix-septième siècle : "Je ne connais pas d'animal plus proche de
l'Homme que le Lapon !" (cité par Frank Tinlant, "L'Homme
sauvage", PBP, 1968) ? Au fait, le diplomate en question
avait-il bien vu ce que nous appelons des
Lapons ??
L'allusion à "ceux qui les
chassent comme des bêtes" n'a rien d'imaginaire, et ne
vise pas seulement quelques aventuriers, mais bien les plus
hautes autorités de quelques provinces
australiennes.
L'auteur se fait encore plus
précis, et pour nous déconcertant, et il
confirme de suite la dernière assertion de son
personnage : L'angle facial de
l'indigène australien est très aigu et
sensiblement égal à celui de l'orang-outang,
soit soixante à soixante-deux degrés. Aussi
n'est-ce pas sans raison que M. de Rienzi proposa de classer
ces malheureux dans une race à part qu'il nommait les
"pithécomorphes", c'est-à-dire hommes à
formes de singes.
Et quant au degré de culture
atteint : On les voyait (les
femmes) étendues sur le sol brûlant, immobiles,
comme mortes, attendre pendant des heures entières
qu'un naïf oiseau vint à portée de leur
main ! Leur industrie en fait de pièges n'allait
pas plus loin, et il fallait être un volatile
australien pour s'y laisser prendre.
Cependant, l'auteur a
décidé de faire triompher l'humanité,
et la pitié, avec un rien de paternalisme. (...)
Cependant, à la demande
d'Helena, Glenarvan donna ordre de distribuer quelques
aliments. Les naturels comprirent son intention et se
livrèrent à des démonstrations qui
eussent ému le coeur le plus insensible.
Cette description ne peut que
choquer quiconque a un minimum de connaissance des
Aborigènes australiens, à la riche culture et
à l'anatomie résolument sapiens.
Néanmoins, Jules Verne avait pour habitude de se
documenter scrupuleusement. Et il est exact, encore une
fois, que les Aborigènes, jusqu'au début de
notre siècle, ont été
considérés comme non humains et
massacrés sur une grande échelle.
Mais peut-être a-t-on
massacré en priorité ceux dont l'aspect
semblait le moins humain. On sait que certains
Aborigènes, traditionnellement, s'épilent le
corps. N'auraient-ils pas appris à le faire parce que
certains Blancs massacraient de préférence les
plus velus ?
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