17 : PLAISIR/DOULEUR 


Ces pages sont consacrées aux discours autogènes, rumeurs, idéologies, ensembles d'informations que l'on tend à répéter le plus possible, à prendre en compte le plus possible, poussé(e) à cela non par la valeur de ce discours, mais par une illusion qui se transmet en même temps que lui.  Retour au menu
 


Ce nouveau couple de mythes finals opposés tourne autour du principe de plaisir. Le but ultime, la valeur suprême de l'Humanité dans son ensemble, serait pour le premier la recherche de toujours plus de plaisir et toujours moins de souffrance, et pour le second la résistance au plaisir, le refus toujours plus radical de tout plaisir et donc la recherche de la souffrance. Le caractère autogène est moins évident, puisque l'on peut rechercher aussi bien le plaisir que la souffrance individuellement. Le problème est encore compliqué du fait que nombre de mystiques affirment trouver un plaisir supérieur (extase) à travers la souffrance, sans que cela ait rien de commun avec ce qu'il est convenu d'appeler masochisme. Ce dernier apparaît plutôt chez les partisans du tout-plaisir.

Néanmoins les comportements associés peuvent changer rapidement, d'une manière contagieuse, en fonction des circonstances. On constate des épidémies dans un sens ou dans l'autre.

Cette fois, les grandes religions ont trouvé, dès leur origine, un équilibre relativement satisfaisant entre ces deux extrêmes. Dès les premiers mots de son premier sermon après son illumination décisive, au Parc des gazelles à Bénarès, Bouddha déclare : "Il est deux extrêmes, ô bikkhus, qui doivent être évités par un moine. Quels sont-ils ? S'attacher aux plaisirs des sens, ce qui est bas, vulgaire, terrestre, ignoble et engendre de mauvaises conséquences, et s'adonner aux mortifications, ce qui est pénible, ignoble et engendre de mauvaises conséquences..."

Et Jésus et Mohammed sont présentés comme des hommes équilibrés sur ce plan. L'un comme l'autre vit pauvrement, refuse le luxe (qui implique toujours, soit dit en passant, une lutte passée ou présente pour obtenir les objets du plaisir, puisque le luxe désigne par définition ce qui n'est pas à la portée de tout le monde), mais ne crache pas sur les plaisirs de la vie quand ils s'offrent sans "péché".

Et pourtant, aucune des trois religions fondées par ces hommes n'a établi de barrage durablement efficace contre les épidémies massives d'hédonisme ou d'ascétisme. L'équilibre originel est même bien souvent occulté. On sait dans quel luxe ont longtemps vécu les Papes. Les autorités saoudiennes, au vingtième siècle de notre ère, et treizième de la leur, ont décidé la destruction des maisons du Prophètes et de ses proches, pieusement entretenues jusque là, parce qu'elles étaient devenues l'objet d'une idolâtrie. On peut au moins soupçonner une autre motivation. Mohammed, ses épouses, ses parents, ses plus illustres compagnons et les premiers califes vivaient dans des masures minuscules, ce qui contrastait par trop avec le train de vie (largement influencé par l'Occident) de la cour de Riyad.

Les épidémies d'ascétisme les plus typiques naissent dans des périodes de troubles, et le message autogène qui les porte est en substance le suivant : "Le plaisir nous a corrompus, et il nous a apporté le malheur ! Vive la souffrance !" D'où par exemple les interminables cortèges de flagellants qui ont suivi immédiatement la Grande Peste, au quatorzième siècle, dans une grande partie de l'Europe.

Mais il est clair que les flagellants (on en trouve toujours) ne menacent pas la civilisation occidentale, ni aucune autre. S'il y a actuellement une épidémie, à l'échelle mondiale ou presque, elle est dans l'autre sens. Quant aux conséquences, on verra bien...
 
 

AUTORITÉ ET LIBERTÉ
 
 

Encore un couple d'opposés qui déclenche souvent des épidémies dans un sens ou dans l'autre. Nous nous dispenserons de la démonstration qu'un équilibre des deux est nécessaire à toute société viable.

Dans le sens de l'autorité exclusive, on aura reconnu tous les fascismes et tous les intégrismes, intégrisme signifiant domination absolue d'une doctrine religieuse et de ses préceptes, même les plus arbitraires, sur la vie publique et même privée des gens. Mais cela dépasse largement ce cadre. Dans tous ces cas, l'autorité n'est pas, ou n'est pas seulement, un but en soi, et un autre mythe final, ou un autre mythe initial, est à l'oeuvre derrière. Le plus souvent, il s'agit d'une l'idée simpliste, fortement autogène, qu'on peut synthétiser ainsi : "C'est parce que des êtres humains ne peuvent réfréner leurs passions, leurs désirs, leur concupiscence, etc. qu'il y a le mal et l'iniquité et la méchanceté et la souffrance..."
 
 

Liberté chérie...

Le mythe final opposé n'a jamais totalement disparu. Mais longtemps il a été étouffé. On peut citer de nombreuses sectes chrétiennes plus ou moins gnostiques : Carpocratiens, Libre Esprit, Bégards, Pikartis de Bohème, etc. etc. Ils ont été à chaque fois férocement réprimés... et ont très souvent subi le martyre avec courage, ce qui confirme que ce n'était pas purement hédoniste . A partir des années 1960, le rapport de forces se renverse brutalement avec une véritable épidémie mondiale, dont Mai 1968 a été le point culminant pour la France.

Au coeur de la doctrine, on trouve en substance le discours simpliste, autogène, que voici : "Les interdits, la discipline, la morale "bourgeoise", sont la cause essentielle du mal, de l'exploitation de l'homme par l'homme, car ils détournent les hommes d'un plaisir innocent, et c'est la frustration ainsi engendrée qui les pousse vers l'oppression de leurs semblables..." Avec, à la racine, une illusion plus fondamentale, celle qui fait croire que la satisfaction d'un besoin n'engendre pas elle-même de besoin nouveau.

Il ne s'agit pas non plus d'un discours purement hédoniste. Les mêmes rejettent le plus souvent la "société de consommation". Le mouvement hippy relevait de cette nébuleuse. Le psychédélisme, également. Cela reste la ligne directrice d'un journal comme Charlie Hebdo. On trouve bien des variantes.

L'une de ces variantes est soutenue par le mouvement dit "Raëlien", du nom adopté par son fondateur (Claude Vorilhon, ancien journaliste sportif). "Lorsque tous les hommes jouiront totalement de leur sensualité, il n'y aura plus aucun risque de guerre mondiale..." Raël milite aussi pour qu'à partir de 14 ans les enfants aient le droit d'avoir une vie sexuelle libre, sans contrôle de leurs parents .

Le même, instruit par des extra-terrestres qui lui ont fait rencontrer Moïse, Jésus, Bouddha et Mohammed, proscrit absolument l'usage de l'alcool, du tabac, du café, etc. Il ne s'agit pas, encore une fois, d'un discours purement hédoniste. Par ailleurs, en dépit du caractère parfois fumeux de ses messages, Raël a su éviter les dérives sectaires les plus graves (tout est relatif) par une mesure égoïste, mais sage : il ne doit y avoir dans son mouvement qu'un seul permanent, un seul salarié de l'organisation, lui-même. Il évite ainsi le carriérisme des sous-gourous, dont on sait à quel point il renforce le sectarisme, et le totalitarisme, pas seulement dans les mouvements religieux (l'ouvrage de Viktor Souvarov "Les libérateurs", est une mine d'exemples sur ce point).

Quant à l'équilibre souhaitable entre les deux extrêmes, discipline et liberté, il est encore temps de le chercher. Enfin, j'espère...

haut

retour