28 février 2005
(enrichi 1 août 2006)
 

Antisémitisme, brève enquête sur un délire...


Dans la série, ou Dieu n'existe pas et l'intégrisme religieux est une escoquerie, ou Dieu existe et l'intégrisme religieux est un blasphème...

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Premier constat, l'antisémitisme est un délire. Un délire est un trouble mental qui fait que les fantasmes prennent plus de poids et plus de réalité que la réalité pour la personne qui en est atteinte. Le besoin de croire à la malveillance et aux intentions sournoises de telle personne ou tel groupe de personne est un des plus classiques et des plus dangereux. L'antisémitisme (terme mal choisi, tous les sémites n'étant pas juifs, mais qui s'est imposé) consiste à prêter à tous les juifs, sans avoir forcément une idée cohérente de ce que le terme peut englober, des intentions malveillantes et dissimulées à l'encontre du reste de l'humanité (voir historique).

Première explication classique, les juifs servent de bouc-émissaire, donc d'exutoire en cas de crise (Durkheim, Freud, Sartre, Girard...). Mais d'une part c'est discutable (Guillaume Erner, Expliquer l'antisémitisme, Puf, 2005, soutient, étude élaborée à l'appui, qu'il n'y a pas dans l'histoire corrélation nette entre crises d'antisémitisme et crises tout court). D'autre part, cela n'explique pas pourquoi les juifs. Notons tout de même que l'expression "bouc-émissaire" fait expressément référence à la Bible (Lévitique, 16, même si elle n'y apparaît pas sous cette forme), livre juif à l'origine autant qu'on sache (même si on a pu y déceler des sources païennes antérieures).

Mais puisque délire il y a, d'où viennent les délires ? Nous n'épuiserons pas le sujet, mais voici une histoire réelle qui l'illustre assez bien, empruntée à Paul Watzlawick (Les Cheveux du Baron de Müchhaüsen, Seuil). Une femme était devenue irrésistiblement, pathologiquement, jalouse de son époux. Ce dernier, de mœurs austères et rigides, ne donnait prise à rigoureusement aucun soupçon à cet égard, elle ne pouvait présenter aucun élément justifiant ses accusations, mais n'en démordait pas. On aurait pu s'en tenir au diagnostic de délire et prescrire des psychotropes ou ceci ou cela. Mais un questionnement plus poussé livra l'explication. Le mari, donc, était imbu d'une morale rigide. Il reprochait notamment à son épouse sa consommation, pourtant modérée, d'alcool. Et il lui avait ainsi lancé, un jour, en substance : "Si tu n'arrêtes pas, je vais aussi me trouver un vice, je vais prendre une maîtresse..." Propos en l'air, sans lendemain... sauf dans l'inconscient de la dame. Et revenons à l'antisémitisme.

Si cette analogie s'applique, elle ne peut que déboucher sur une question terriblement délicate. Où, quand, comment, des juifs (écrire "les juifs" serait déjà de l'antisémitisme dans ce contexte) ont-ils pu donner l'impression de vouloir sournoisement dominer et opprimer le monde ?

Premier élément de réponse, mais qui ne mènera pas loin par lui-même, la Bible, ouvrage émanant du peuple juif, montre de telles intentions, et pire encore, présentées comme la volonté d'un dieu unique. Ainsi, le roi Saül est destitué par Dieu, par l'entremise de Samuel, pour n'avoir pas totalement rempli ses objectifs de massacres d'un peuple adverse, fixés par le même Dieu (1 Samuel, 28, 15-19).

Sauf que... beaucoup de peuples ont à un moment de leur histoire justifié la violence contre leurs voisins par une autorisation, voire une injonction, divine. Seuls les juifs subissent l'antisémitisme. On n'en trouve pas l'équivalent pour d'autres. L'antisémitisme est une singularité. 

Sauf bien sûr que le Dieu qui est censé ordonner ces massacres est aussi censé être unique, le même pour tous les peuples. En approfondissant on découvre toutefois que... ce n'était pas vrai à l'époque supposée de ces massacres. Le dieu Yahveh était un fils parmi d'autres du dieu cananéen El (il en subsiste quelque chose en Deutéronome, 32, 8-12, même si les versions modernes préfèrent parler de l'"Eternel" et du "Très-haut", donnant une phrase parfaitement illogique, absurde, s'il s'agit de la même entité). Et les frères non moins divins de Yahveh, chacun pourvu d'un peuple, faisaient la même chose, y compris à l'encontre des juifs.

Au passage, quand la Bible a été mise en forme, au temps d'Esdras (Ezra), la Judée, le pays juif, était une province soumise, paisible et satisfaite, de l'empire perse achéménide.

Oui, mais l'Apocalypse pour les chrétiens (voir par exemple Apocalypse 2, 26-27), le Coran pour les musulmans (par exemple, 47, 4), sont tout aussi violents à l'occasion, et on ne voit nulle part quelque chose qui s'approcherait de l'antisémitisme à l'encontre des chrétiens et des musulmans. Tout au plus, on peut soupçonner que les accusations d'incendie volontaire lancées contre les premiers chrétiens par les autorités romaines païennes avaient quelque chose à voir avec Apocalypse 18, 9-10, etc.

Mais ce n'est pas la même chose. Si féroces qu'aient été les persécuteurs romains, ils épargnaient ceux qui se soumettaient et acceptaient de sacrifier aux dieux, les laissant d'ailleurs poursuivre leur culte particulier. L'antisémitisme a ceci de particulier qu'il ne tient aucun compte des croyances de ses cibles. Il a d'ailleurs une conception peu claire de ce qui est ou non juif et, quand il doit passer à l'acte, il le définit de façon arbitraire. Quand le nazisme, parvenu au pouvoir, a bien dû définir les juifs, il a décrété qu'était juive toute personne ayant eu trois grand-parents sur quatre de confession israélite, l'état-civil allemand enregistrant la religion.

Deuxième constat, l'antisémitisme vient presque toujours de gens qui ont été profondément imprégnés d'une religion monothéiste dérivée du Judaïsme, soit le Christianisme ou l'Islam, qu'ils en soient restés fidèles ou non.

C'était le cas de Drumont, qui a lancé l'antisémitisme en France. C'était le cas de Maurras, Céline et bien d'autres. C'était le cas de fauteurs de pogroms en Russie et Ukraine. C'était le cas de Sergueï Nilus, moine fanatique qui propagea les Protocoles des Sages de Sion. C'était le cas de Hitler, catholique fervent dans sa jeunesse, qui continuait à invoquer Dieu et même la Vierge dans Mein Kampf et ses discours. si on doute de l'origine de l'antisémitisme du Führer, on n'a qu'à se référer à cet extrait d'un de ses discours : 

"En tant que chrétien et en tant qu’homme, je lis avec un amour infini ce passage qui nous rapporte comment le Seigneur finit par se lever brusquement et se servir d’un fouet pour chasser du temple les usuriers, cette race de vipères et de couleuvres ! Deux mille ans après, je m’incline avec une émotion profonde devant le combat inouï qu’il mena contre le monde, contre le poison juif et je constate que ce fut la raison pour laquelle il dut mourir sur la croix" 
(
Adolf Hitler, discours du 12 avril 1922, cité par Fernand Rohman, Hitler, le Juif et le troisième homme, PUF, 1983, p. 75).

C'était le cas de Staline, qui a notamment toujours protégé l'ancien directeur de son séminaire, qui l'en avait pourtant renvoyé. Enfin, c'est le cas de tous les islamistes qui reprennent à leur tour le flambeau de l'antisémitisme, en s'appuyant sur les mêmes Protocoles.

Troisième constat, la Bible est un texte juif, mais qui a échappé aux juifs. Les chrétiens l'ont récupérée et complétée à leur convenance sans vraiment demander la permission. On peut même observer que les deux livres des Macchabées, qui montrent aussi des guerres et des massacres au nom de Dieu, et à une époque historique où Yahveh était bien un dieu unique, font partie du canon catholique de la Bible mais pas du canon juif. Le Coran a repris les thèmes et personnages essentiels de la Bible, sans non plus demander la permission, et non sans approximations qui ont débouché sur un conflit sanglant du vivant du Prophète de l'Islam. Et encore une fois, c'est dans les rangs des fidèles ou ex-fidèles de ces deux religions que se recrutent les antisémites, au moins ceux qui passent à l'acte.

Quatrième constat, les antisémites connus se réfèrent volontiers à la Bible. Voir les écrits antisémites de Voltaire (car il en a commis...).

"On dit communément que l’horreur des Juifs pour les autres nations venait de leur horreur pour l’idolâtrie ; mais il est bien plus vraisemblable que la manière dont ils exterminèrent d’abord quelques peuplades du Canaan, et la haine que les nations voisines conçurent pour eux, furent la cause de cette aversion invincible qu’ils eurent pour elles. Comme ils ne connaissaient de peuples que leurs voisins ils crurent en les abhorrant détester toute la terre, et s’accoutumèrent ainsi à être les ennemis de tous les hommes..."
(article "juif" du Dictionnaire philosophique. NB ce passage ne figure pas dans toutes les éditions).

Après la faute à Voltaire, la faute à Rousseau.

"Pour empêcher que son peuple ne se fondit parmi les peuples, Moïse lui donna des moeurs et des usages incompatibles avec ceux des autres nations. Cette singulière nation si souvent subjuguée, si souvent dispersée et détruite en apparence, mais toujours idolâtre à sa règle, s'est pourtant conservée jusqu'à nos jours, éparse parmi les autres, sans s'y confondre..."
(cité par Serge Moati et Jean-Claude Raspiengeas, La haine antisémite, Flammarion, 1991, p67).

Autre auteur classique compromis, William Shakespeare, qui dans Le marchand de Venise place plusieurs fois, dans la bouche de Shylok puis ironiquement celle de ses adversaires :

"Ce juge est un Daniel !"

(Daniel donne son nom à un livre biblique où il apparaît notamment comme un juge perspicace).

Ivan Tourgueniev a publié une nouvelle intitulée Le juif, où le personnage-titre réunit caricaturalement les clichés antisémites du temps : lâche, cupide, obséquieux, sournois, etc. L'auteur étant aussi un humaniste éclairé, son juif, Hirschel, est également pitoyable. Hischel est pendu pour espionnage (le cadre est celui des guerres napoléoniennes), et sa fille Sarah maudit ses meurtriers notamment ainsi :

"Par la malédiction de Datan et d'Abiram..."

Encore la Bible (Nombres, 16).

Un échantillon moderne, recueilli par Serge Moati et Jean-Claude Raspiengeas (opus cité p150) :

"La Bible a guidé Adolf Hitler, le seul homme du dernier millénaire à avoir milité en faveur de la survie de la race blanche. (...) Jésus n'était pas juif ! Les juifs ne sont pas et n'ont jamais été le peuple de la Bible !"
(propos d'un certain Richard Butler, pasteur négationniste et nazi de l'Idaho).

Bien entendu, l'antijudaïsme chrétien du moyen-âge utilisait aussi la Bible.

"'Peuple à la nuque raide', 'démons à la tête dure' : ces expressions puisées dans l'Ancien Testament furent longtemps utilisées, pervertie de leur sens originel pour fustiger l'obstination des juifs à refuser le Messie."
Serge Moati et Jean-Claude Raspiengeas (opus cité p150).

Bref, les juifs ne sont certainement pas responsables de l'antisémitisme, comme les antisémites de droite ou de gauche voudraient le faire croire, mais la Bible a quelque chose à y voir. Et, prophétisons un peu, la lutte contre l'antisémitisme passera par la désacralisation de la Bible ou elle échouera.

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