18 octobre 2001 (révisé avril 2002) 

Patrick Dils,
l'innocent incompris
 


Note du 29 mai 2007 : Patrick Dils continuant à faire (honorablement) parler de lui, et ses aveux réitérés continuant à être "incompris", cette page est très visitée. On reparle aussi un peu de la très similaire affaire Ranucci. Dans les deux cas, on ferait bien de s'intéresser davantage au processus dit "lavage de cerveau (pour comprendre ce que c'est)", conscient ou non, pour expliquer les aveux répétés et maintenus... pour moi c'est l'enseignement essentiel de cette affaire.

 

Ce qui suit a donc été écrit pour l'essentiel entre les deux derniers procès en juin 2001 (confirmation de la condamnation) puis avril 2003 (innocence enfin affirmée). 

Il n'est pas dans mes habitudes de me mêler de procès criminels célèbres... non qu'ils ne m'intéressent pas, au contraire. Je me fais souvent ma petite idée, qui vaut ce qu'elle vaut, sur la vérité... seulement jusqu'à cette affaire-ci, cette petite idée avait toujours été confirmée par le jugement final... mais cette fois l'écart était monstrueux (jusqu'à l'avant-dernier procès inclus).

Le bon sens l'a finalement emporté et Patrick Dils a été acquité le 24 avril au terme d'un procès pénible. Les hypothèses ci-après n'ont apparemment pas été soulevées. Je les laisse à toutes fins utiles, d'autant que si j'en crois les médias, la thèse des aveux "arrachés" a été très mal reçue. Et pourtant...
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Patrick Dils au procès de Reims
(juin 2001)

  • Patrick Dils, en prison depuis bientôt 15 ans pour un double meurtre qu'il nie après l'avoir avoué, ne peut absolument pas en être coupable.
  • Oui, mais lors d'une reconstitution le 7 mai 1987, se disant toujours coupable, il donne des détails précis qu'ils n'auraient pu inventer. C'est d'autant plus troublant que ses avocats ont toujours fait l'impasse là-dessus, préférant plaider la machination malhonnête (on aurait délibérément fabriqué un coupable à partir d'un innocent), ligne qui s'est toujours brisée sur la reconstitution fatidique et l'impression ineffaçable qu'elle a laissé chez trop de témoins (accessoirement, sur le manque d'empressement de Dils à suivre ses défenseurs sur ce terrain).
  • Oui, mais il y a une explication rationnelle, à laquelle personne n'a pensé, qui rend compte de cette "invention" sans quitter l'hypothèse de son innocence... et sans accuser automatiquement les tenants de l'accusation de mauvaise foi, donc ipso facto de machination diabolique, imputation grave et déshonorante (beaucoup plus grave que la simple extorsion d'aveux) qui tend à crisper les débats et même, à la limite, à retourner contre Dils le principe de présomption d'innocence.

Il restera à expliquer l'incroyable sévérité des verdicts successifs : perpétuité, ou même 25 ans, pour un mineur sans antécédent judiciaire qui aurait disjoncté parce qu'on lui jetait des cailloux à la figure. Il restera à expliquer le climat général de lynchage entretenu par certains.

(Mais le plus important est de faire libérer Patrick Dils) C'est fait, il a été innocenté.

Les faits

Le 28 septembre 1986, peu avant 20 heures, les corps sans vie de deux garçonnets de 8 ans, Alexandre et Cyril, sont retrouvés le long des voies SNCF en haut d'un talus à Montigny-lès-Metz. Les cadavres ont été affreusement écrasés à coups de pierres. L'enquête piétine. Deux suspects avouent successivement mais doivent néanmoins être mis hors de cause (ce qui relativise la valeur des aveux obtenus dans cette affaire, mais aussi tend à établir la bonne foi des enquêteurs).

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Arrestation, enquête, instruction

Fin avril 1987, Patrick Dils, 16 ans, élevé dans un protestantisme plutôt austère, considéré comme un peu immature à l'époque (il mûrira en prison) mais néanmoins bien intégré (il prépare sans problème un CAP de cuisinier), déjà interrogé juste après le crime, avoue en être l'auteur. Il aurait perdu la tête parce que les enfants lui jetaient des pierres. Il se rétractera bien vite auprès de son avocat, mais la juge d'instruction n'en décidera pas moins une reconstitution pour le 7 mai, au cours de laquelle Dils admet toujours le crime. Pourtant c'est totalement incompatible avec son emploi du temps le jour du crime. Pour faire cadrer tant bien que mal, on retardera l'heure du drame d'une heure, contre l'avis du médecin légiste, en se basant uniquement sur le témoignage tardif d'une femme qui avait entendu des pleurs d'enfants (mais quand donc les victimes aurait-elles pu pleurer, surtout sans qu'on entende autre chose ? Pleure-t-on avec le crâne complètement écrabouillé ?). Et même si on admet ce point, Dils n'aurait eu que dix minutes pour commettre le double meurtre, rentrer chez lui, faire disparaître toute tâche de sang, et se présenter comme si de rien n'était à sa famille.

On n'aurait même pas dû avoir besoin de la révélation, bien plus tard, de la présence à l'heure exacte et sur le lieu exact du crime, d'un monsieur, Francis Heaulme, qui avait déjà et aura encore pour habitude de tuer des enfants, de s'acharner sur leurs corps, et de leur baisser le pantalon, toutes choses dûment constatées sur le crime de Montigny.

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Aveux
Comment peut-on faire avouer un crime à un innocent sain d'esprit ? A priori trois techniques sont possibles : le chantage, la torture, le lavage de cerveau. Aucun élément en l'occurrence ne soutient réellement le chantage ou la torture, même morale. En quoi consiste donc un lavage de cerveau ? Pour une description saisissante, par quelqu'un qui l'a vécu chez Moon, voir Lorris Murrail, "La secte", Lattès, 1977. Il faut d'abord tenir la personne enfermée, et isolée du monde extérieur, sans possibilité de savoir combien de temps cela va durer. Ensuite, dans un premier temps, puisqu'il s'agit de lui enlever une conviction pour la remplacer par une autre, on va l'amener paradoxalement à défendre la conviction à retirer, sans la bousculer, sans la faire inutilement souffrir, en la laissant même, un peu, se reposer et réfléchir (sinon elle se replierait sur elle-même et refuserait de continuer). On lui retourne juste ce qu'il faut de questions et d'arguments opposés pour qu'elle continue, croyant toujours pouvoir s'en sortir ainsi, à défendre la conviction jugée indésirable. Au bout d'un certain nombre d'heures, l'énergie psychique limitée dont elle disposait pour maintenir sa position est épuisée. C'est alors, mais alors seulement et surtout pas trop tôt, qu'on lui assène péremptoirement la conviction qu'on souhaite lui voir adopter désormais. Vidée de toute force, elle ne peut plus y résister même intérieurement, et adhère alors sincèrement (ce qui peut impliquer la folie pure et simple). Cela peut durer plus ou moins longtemps.

Que s'est-il passé dans le cas de Patrick Dils ? Il a raconté avoir perdu pied, renoncé à toute résistance, d'un seul coup, alors que l'enquêteur, Bernard Varlet répondait à un coup de téléphone. Cet appel venait de la mère de Patrick, qui s'inquiétait comme on l'imagine aisément. Réponse brutale : "Je le relâcherai quand il dira la vérité !". Dils s'est mis alors à avouer tout ce qu'on lui dictait, et l'a maintenu plusieurs jours avant de se rétracter. Il semble donc bien y avoir eu l'équivalent d'un lavage de cerveau, à ceci près que la deuxième phase a été déclenchée par un événement fortuit, ce qui tendrait à suggérer que ce n'était pas délibéré (on avait tout de même déjà fait avouer deux personnes pour ce même crime).

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Aveux circonstanciés

Après s'être trompé de 42 mètres sur l'emplacement, et alors qu'on ne croit plus guère à sa culpabilité et qu'on cherche une porte de sortie, Dils se voit présenter 4 pierres dont trois ont servi au double meurtre (tâches de sang retrouvées et identifiées). Non seulement il écarte celle qui n'a pas servi (un galet peu maniable, peu vraisemblable, manque de rigueur qui peut aussi bien confirmer qu'on n'y croyait plus) mais il "retrouve" les gestes du tueurs mais il spécifie l'usage de chaque pierre (une petite pour frapper chaque enfant, puis une plus grosse pour les achever et écraser notamment les têtes). Lui-même (dans un état probablement très confusionnel avec un lourd déficit de sommeil) en aurait paru ensuite déstabilisé.

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La seule explication possible...

Les gestes "retrouvés" (il est fort douteux que l'on puisse se souvenir de l'usage que l'on a fait de cailloux sept mois plus tôt, en état de folie meurtrière) par Dils étaient connus des enquêteurs (sinon cela n'aurait rien prouvé de plus que les aveux, dont il est admis qu'ils ne prouvaient rien). Et ces enquêteurs se trouvaient autour de lui au moment de la reconstitution. Certes personne n'a soufflé consciemment, sinon Dils s'en serait rendu compte et l'aurait dénoncé comme il a dénoncé le caractère extorqué des aveux. Mais on peut souffler inconsciemment.

Un exemple classique est une histoire apparemment grottesque mais néanmoins authentique qui s'est déroulée en 1904 près de Berlin. Un professeur à la retraite, Wilhelm von Osten, soutenait que son cheval, appelé Hans, savait lire et même calculer. Et force fut d'abord de constater que le cheval, dûment testé, répondait correctement à chaque fois par le nombre juste de coups de sabot au sol, même en l'absence de son maître. Les vétérinaires, zoologistes, psychologues, physiciens, y perdaient leur latin. Jusqu'au moment où l'on s'aperçut que cela ne marchait plus quand personne dans l'assistance ne connaissait la réponse (les questions étaient inscrites sur des panneaux que l'on retournait et dont on choisissait un au hasard en faisant en sorte que seul Hans le voie), ou même quand les personnes la connaissant étaient hors de la vue du cheval (Voir Paul Watzlawick, La réalité de la réalité, Seuil, 1978).

Ce même principe est à la base de certains tours de prestidigitation.

On peut aussi percevoir inconsciemment un message quelconque, et en être influencé, toujours inconsciemment.

C'est le principe de la publicité subliminale, connue depuis la fin des années 1950. On avait diffusé dans un magasin du New Jersey des messages publicitaires pour Coca cola et Popcorn à des vitesses telles qu'ils ne pouvaient être perçus consciemment, et néanmoins les produits en question avaient vu leur vente significativement augmenter. Toutes les études menées depuis le confirment : on ne peut pas forcer ainsi la volonté de quelqu'un mais on peut l'influencer s'il n'a pas de raison particulière d'opter pour une autre solution (on ne fait pas boire du coca cola à quelqu'un qui ne l'aime pas ou n'a pas soif, mais on peut faire pencher pour le coca cola quelqu'un qui sinon prendrait aussi bien du pepsi cola). La loi française interdit ce genre de pratique pour promouvoir des produits mais permet, et les grandes surface ne s'en privent pas, de diffuser de tels messages pour inciter la clientèle à se détendre et à se comporter civilement.

Avoir mis en évidence une forme de perception subliminale ne signifie pas que la Science les connaisse toutes. Pour citer une expérience très banale de la vie quotidienne, la sensation d'être suivi ou observé, sans savoir pourquoi, pour constater ensuite que c'est réel, relève clairement de ce mécanisme. Et à la limite, toute perception possède une composante subliminale.

Celles et ceux qui s'intéressent un tant soi peu à la parapsychologie, que ce soit pour l'attaquer ou la défendre, savent que trouver une réponse en présence de personnes qui la connaissent n'est jamais probant.

C'est pour cette raison que les médicaments sont testés en double aveugle : ni celui qui reçoit, ni celui qui teste ne savent à l'avance ce qu'il y a dans le produit testé (certaines des personnes testés reçoivent le vrai produit, tandis que d'autres reçoivent un produit neutre). 

Pendant la reconstitution, Dils avait donné l'impression d'essayer de se souvenir, puis de se souvenir effectivement (alors que le vrai coupable n'aurait probablement pas pu se "souvenir" aussi bien, et que la reconstitution préalable des gestes meurtriers était largement hypothétique). Mais il y avait des gens qui connaissaient les réponses...

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(Dils)
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