16 juin 2006 

Lavage de cerveau

Ce qui suit est un extrait, didactique, d'un roman que je récris sans cesse et essaie parfois de faire éditer, pour expliquer de quoi il s'agit dans le cadre d'une discussion entre mes personnages. L'histoire de la jeune fille enlevée est celle de Colleen Stan (on peut chercher avec ce nom in English). Je l'ai découverte dans Understanding Muhammad and Muslims, d'Ali Sina (dont j'essaie de faire publier une traduction française) qui l'utilise par analogie. L'histoire des aveux maintenus est bien sûr celle de Patrick Dils (mais cela peut s'appliquer aussi à Christian Ranucci).

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― Pourquoi on parle de « lavage de cerveau », alors ?

― C’est tout autre chose. Je vais te l’expliquer, on a le temps. Peut-être que ça t’évitera de tomber dans des pièges. Je t’assure que tu ne risques rien ici, mais ta vie ne fait que commencer. Le lavage de cerveau, on a commencé à en parler après la guerre de Corée, donc à partir de 1953, quand des soldats occidentaux sont revenus des camps de prisonniers communistes… et qu’ils étaient devenus des communistes fanatiques. Ils ne n’étaient pas du tout au départ. Mais pas à coup d’hypnose ou de subliminal, ou très accessoirement, ça n’aurait pas suffi. Je vais te raconter un truc, que j’ai lu récemment.

― Dis toujours…

Elle est quand même un peu subjuguée par lui. Il est vrai qu’il pourrait être son père. 

― C’est une histoire véridique, en Amérique. Une fille, pratiquement de ton âge [18 ans], se trouvait obligée de faire du stop. Elle n’était pas inconsciente, elle refusait les hommes seuls. Elle ne s’est pas méfiée d’un couple avec un bébé… tu t’en serais méfiée ?

― Non…

― Elle est restée sept ans avec eux, sept ans. Elle était, ouvertement, c’était le mot qu’ils employaient, leur esclave y compris sexuelle. Surtout du mec mais un peu aussi de la femme. Ils pouvaient l’envoyer faire la manche sur la voie publique et la laisser complètement seule, elle n’en profitait pas pour s’enfuir. Une fois, ils lui ont permis de rendre visite à sa famille, une journée. Et donc elle a retrouvé ses parents, et sa sœur. Pour eux elle avait disparu depuis longtemps, ils n’avaient aucune nouvelle, ils l’ont revue complètement à l’improviste. Ils ont trouvé qu’elle n’était pas bien, qu’elle était maigre, qu’elle ne réagissait pas normalement, mais ils n’ont pas osé la questionner. Ils avaient peur de la faire s’enfuir à nouveau, ou de la décompenser, comme disent les psys, ou quelque chose comme ça, ou alors ils pensaient avoir plus de temps. Et elle est retournée de son plein gré avec le type, ça a duré encore plusieurs années. Enfin, elle s’est sauvée, mais pas vraiment d’elle-même. Le mec commençait à la préférer à son épouse et donc l’épouse, jalouse, l’a poussée à se tirer et à rejoindre pour de bon sa famille. Elle a retrouvé peu à peu une vie normale, elle s’est mariée, et cetera. Mais ce n’est pas elle qui a dénoncé le gars à la police, c’est la femme, en échange de l’impunité. Pourtant, elle savait qu’il avait au moins un meurtre, d’une autre fille moins malléable, sur ce qui lui servait de conscience. Et aussi, elle avait encore sur tout le corps les traces des décharges électriques qu’il lui infligeait pour la punir…

― Elle se rebiffait donc quand même, des fois…

― Même pas ! Il suffisait qu’elle loupe quelque chose. Pour le faire condamner au procès, il a encore fallu qu’un psy vienne exposer le mécanisme du lavage de cerveau. Parce qu’elle ne voulait toujours pas l’accabler, des mois après.

― Enfin, s’il avait tué une fille… surtout qu’ils ont encore la peine de mort, là-bas.

― On connait le nom de cette fille. Elle a effectivement disparu dans des circonstances qui collent. Mais, la justice américaine étant compliquée, il aurait fallu retrouver son corps pour prouver.

― C’était quoi, ce mécanisme de lavage de cerveau ?

― Pour elle, atroce. Au départ, quelque chose comme une semaine sur une grille, dans une caisse étroite où elle pouvait à peine respirer, sans lumière, avec juste un récipient pour ses déjections. On ne la sortait que pour la frapper, la nourrir aussi quand même, mais après peut-être plusieurs jours. Elle n’avait plus du tout la notion du temps. Après, ça s’est très progressivement et très relativement amélioré, mais parce qu’elle était totalement soumise, même intérieurement. On lui disait qu’elle était enregistrée par une « Esclave Compagnie » qui la retrouverait toujours, et elle l’a cru jusqu’à ce que l’épouse de son bourreau lui révèle que c’était faux. Tu admettras qu’on est très loin de ça.

― C’est un cas extrême… et ça peut encore venir.

― Si vraiment ils sont capables de ça alors nous sommes de toute façon entre leurs mains. Enfin, tu peux me soupçonner d’être complice, Manon aussi, et que même José [le narrateur] se fait fallacieusement passer pour quelqu’un qui passait par hasard. Lui aussi peut penser ça de toi, d’ailleurs. Mais alors c’est pareil. Si c’est aussi terrible que ça, on te tient, ma petite ! Et même, imagine, c’est comme tu le soupçonnes. Tu crois que c’est prudent de le dire ? Tu n’as pas peur de te retrouver pendant des jours, toute nue, dans une caisse sans lumière et presque sans air pour t’apprendre à poser les bonnes questions ? Enfin, tu vois bien qu’on en est très loin. Pour revenir au lavage de cerveau, sous une forme moins extrême, le syndrome de Stockholm est bien connu, mais il suppose quand même une longue durée, et une contrainte.

― J’ai lu des choses là-dessus…

Je me suis intéressé à une affaire d’erreur judiciaire. Le gars avait avoué avoir massacré deux enfants, il avait maintenu ses aveux toute une semaine, après avoir pu dormir, y compris devant le juge, y compris pendant une reconstitution, y compris même je crois devant sa mère. Enfin, il s’est repris, il a nié, mais il lui a fallu beaucoup plus longtemps pour s’en sortir. Il a eu de la chance qu’on ait trouvé le vrai meurtrier, avec des preuves sérieuses.

― Heu, c’est en France ?

― Oui.

― Récent ?

― Je ne sais plus l’année, mais tu étais née au moins au dernier procès.

― Tu veux dire qu’on lui avait fait exprès un lavage de cerveau, à la police, pour lui faire avouer une horreur qu’il n’avait pas commise ?? C’est terrifiant, cette histoire !

― Exprès, consciemment, non ! Et on ne l’a pas torturé mais il y avait bien le mécanisme qui fait perdre tout repère temporel, et ne pas savoir du tout quand ça finira, à force d’être interrogé et de devoir répéter son histoire pendant des heures et des heures. Et ça, c’est récurrent dans les histoires de lavage de cerveau, il doit y avoir comme un lien entre la notion du temps et la capacité de résister.

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