Quant
à mes ennemis, ceux qui n'ont pas voulu que je règne
sur eux, amenez-les ici, et égorgez-les en ma présence.
(Luc, 19, 27).
C'est
bien dans la bouche de Jésus. Et alors ? C'est la fin d'une
parabole, une histoire inventée dans un but d'enseignement.
Mais
est-ce si simple ? D'abord, la parabole en question, dite "des
mines" se passe très bien de cet épilogue (voir
Matthieu 25). Et puis, quelques questions.
1)
Y a-t-il des circonstances où Jésus est considéré
comme un potentiel roi des Juifs ?
Oui, beaucoup. Voir par exemple Matthieu 2, 2, Matthieu, 21, 4-5,
Marc, 15, 2, Jean, 19, 12, Jean, 19, 19, Actes, 1, 6, etc.
2)
Y a-t-il des circonstances où
Jesus prêche la violence ?
Oui. Matthieu, 10, 34, Luc, 22, 36.
3)
Au moment où il prononce cette phrase, Jésus
est-il en mesure de faire exécuter des opposants politiques ?
Cela se passe à Jéricho. Une foule nombreuse acclame
Jésus comme roi, au point qu'un de ses admirateurs, de petite
taille, doit monter à un arbre pour l'apercevoir. Aussitôt
après Jésus se met en route pour Jérusalem,
toujours sous les acclamations. S'il est un moment dans les Evangiles
où un tel ordre de mise à mort d'opposants peut être
réaliste, c'est bien celui-là.
4)
Et l'arrestation de Jésus ?
Il semble que Jésus ait decidé de se laisser arrêter,
ne permettant pas aux apôtres de combattre. Et dès
lors, son objectif ne pouvait être un trône terrestre.
Mais lisons cela dans Marc, 14, dont la version est la plus réaliste.
Jesus ne dit pas : "Très bien ! Je désire
justement que vous m'arrêtiez." Il dit : "Suis-je
un brigand, que vous vous soyez mis en campagne avec des glaives
et des bâtons pour me saisir ! Chaque jour j'étais
auprès de vous dans le Temple, à enseigner, et vous
ne m'avez pas arrêté. Mais c'est pour que les Ecritures
s'accomplissent." (Marc, 14, 48-49) Imaginez un instant
que Jésus attendait d'eux non pas qu'ils l'arrêtent
mais au contraire qu'ils se joignent à lui, qu'ils le suivent.
Que pouvait-il dire ? D'abord, sous peine de paraître
coupé de la réalité, il devait admettre qu'ils
ne venaient pas en amis. Ensuite, il devait leur donner une puissante
raison de se rallier à lui. Quelle raison ? Il ne pouvait
guère en trouver que dans les Ecritures, référence
commune admise par ceux qui venaient l'arrêter, la Garde du
Temple, des juifs. Mais alors les apôtres ne comprennent plus
et s'enfuient. Nous ne saurons jamais quel passage des Ecritures
Jésus voulait invoquer.
5)
Et "Rendez à César ce qui est à César" ?
On demande à Jésus de clarifier sa position : est-il
pour ou contre les Romains ? "Est-il permis ou non
de payer l'impôt à César ?" Il
élude en fait la question. Les juifs orthodoxes rejetaient
la monnaie romaine précisément parce qu'elle montrait
l'image d'un homme. (Matthieu, 22, 17-21).
6)
Et l'attitude de Pilate ?
Des juifs exigent de Pilate qu'il juge Jésus et le condamne
à mort. Il se montre réticent, mais ils l'y obligent
en le menaçant d'alerter César (Tibère à
ce moment). Et alors ? Il y a un roi, au moins pour la Galilée,
Hérode. Jésus est supposé vouloir la place
d'Hérode. Pilate peut préférer Jésus
à Hérode, s'il est davantage accepté par le
peuple (et aussi coopératif).
7)
Trouve-t-on quelque chose confortant cette idée de Pilate
envisageant de remplacer Hérode par Jésus ?
Oui. Le procès et la condamnation de Jésus provoquent
une réconciliation entre Hérode et Pilate : "Et,
ce même jour, Hérode et Pilate devinrent deux amis,
d'ennemis qu'ils étaient auparavant." (Luc, 23,
12).
8)
Et "Mon royaume n'est pas de ce monde"
?
La citation complète est : "Mon royaume n'est pas
de ce monde. Si mon royaume était de ce monde, mes gens auraient
combattu pour que je ne sois pas livré aux Juifs. Mais mon
royaume n'est pas d'ici." (Jean, 18, 36) Quand il le dit,
devant Pilate, ce peut être aussi bien le constat de son échec.
9)
Et la résurrection ?
Une crucifixion n'était pas forcément mortelle. Il
y a un exemple, dans Flavius Josèphe, d'un crucifié,
décloué, et qui survit. Un état de mort apparente
qui trompe même des médecins, cela se voit même
aujourd'hui.
10)
Et les miracles ?
Il est banal que des prodiges soient de plus en plus ajoutés
aux histoires concernant des personnages célèbres
et vénérés. Dans les Evangiles, la majorité
des miracles est racontée brièvement, et on ne signale
aucun étonnement, comme si c'était normal. Il y a
deux exceptions. La première est la résurrection (voir
plus haut). La seconde est la guérison de l'aveugle, dans
Jean. Il y a une méthode élaborée :
"Ayant dit cela, il cracha à terre, fit de la boue
avec sa salive, enduisit avec cette boue les yeux de l'aveugle,
et lui dit : "Va te laver à la piscine de Siloé"
- ce qui veut dire : Envoyé. L'aveugle s'en alla donc, il
se lava et revint en voyant clair." (Jean, 9, 6-7). Suit
une longue discussion sur le sens de cet événement.
Il n'est pas absurde que certaines affections de la cornée
puissent être soignées ainsi. Tacite nous apprend que
l'empereur romain Vespasien a un jour guéri un aveugle avec
sa salive. Bref, les miracles les plus détaillés et
circonstanciés dans les Evangiles, ceux dont l'impact allégué
est le plus grand, sont aussi les plus faciles à expliquer
"rationnellement".
11)
Et "Heureux les doux", "Tends l'autre joue",
etc. ?
Peut-on soupçonner de visées politiques, au besoin
par la violence, quelqu'un qui a prononcé autant de magnifiques
et sages paroles allant toutes dans le sens de la paix, du pardon,
de la fraternité même avec les ennemis, etc. ?
Autre façon de formuler la question : connaît-on
des gens capables d'énoncer de façon péremptoire
de grands et sages principes moraux, et de ne pas en tenir compte
eux-mêmes quand leur intérêt le commande ?
La réponse est oui. Ces gens existent et sont bien connus
et étudiés par la psychologie. Jésus, tel qu'il
se présente dans les Evangiles, ressemble-t-il à ces
gens ? Cela demande un développement
particulier.