26 Mai 2005 

"Qu'on les égorge en ma présence"
(Luc, 19, 27)
Une parabole, vraiment ?


Cela fait près de 30 ans que j'hésite à en faire état. Il est vrai qu'il y a plus de deux siècles que Reimarus a soulevé (le premier à ma connaissance) la question. On en pensera ce qu'on voudra, pour l'instant je ne vois guère d'autre réponse que celles ci-après..

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Quant à mes ennemis, ceux qui n'ont pas voulu que je règne sur eux, amenez-les ici, et égorgez-les en ma présence. (Luc, 19, 27).

C'est bien dans la bouche de Jésus. Et alors ? C'est la fin d'une parabole, une histoire inventée dans un but d'enseignement.

Mais est-ce si simple ? D'abord, la parabole en question, dite "des mines" se passe très bien de cet épilogue (voir Matthieu 25). Et puis, quelques questions.

1) Y a-t-il des circonstances où Jésus est considéré comme un potentiel roi des Juifs ?
Oui, beaucoup. Voir par exemple Matthieu 2, 2, Matthieu, 21, 4-5, Marc, 15, 2, Jean, 19, 12, Jean, 19, 19, Actes, 1, 6, etc.

2) Y a-t-il des circonstances où Jesus prêche la violence ?
Oui. Matthieu, 10, 34, Luc, 22, 36.

3) Au moment où il prononce cette phrase, Jésus est-il en mesure de faire exécuter des opposants politiques ?
Cela se passe à Jéricho. Une foule nombreuse acclame Jésus comme roi, au point qu'un de ses admirateurs, de petite taille, doit monter à un arbre pour l'apercevoir. Aussitôt après Jésus se met en route pour Jérusalem, toujours sous les acclamations. S'il est un moment dans les Evangiles où un tel ordre de mise à mort d'opposants peut être réaliste, c'est bien celui-là.

4) Et l'arrestation de Jésus ?
Il semble que Jésus ait decidé de se laisser arrêter, ne permettant pas aux apôtres de combattre. Et dès lors, son objectif ne pouvait être un trône terrestre. Mais lisons cela dans Marc, 14, dont la version est la plus réaliste. Jesus ne dit pas : "Très bien ! Je désire justement que vous m'arrêtiez." Il dit : "Suis-je un brigand, que vous vous soyez mis en campagne avec des glaives et des bâtons pour me saisir ! Chaque jour j'étais auprès de vous dans le Temple, à enseigner, et vous ne m'avez pas arrêté. Mais c'est pour que les Ecritures s'accomplissent." (Marc, 14, 48-49) Imaginez un instant que Jésus attendait d'eux non pas qu'ils l'arrêtent mais au contraire qu'ils se joignent à lui, qu'ils le suivent. Que pouvait-il dire ? D'abord, sous peine de paraître coupé de la réalité, il devait admettre qu'ils ne venaient pas en amis. Ensuite, il devait leur donner une puissante raison de se rallier à lui. Quelle raison ? Il ne pouvait guère en trouver que dans les Ecritures, référence commune admise par ceux qui venaient l'arrêter, la Garde du Temple, des juifs. Mais alors les apôtres ne comprennent plus et s'enfuient. Nous ne saurons jamais quel passage des Ecritures Jésus voulait invoquer.

5) Et "Rendez à César ce qui est à César" ?
On demande à Jésus de clarifier sa position : est-il pour ou contre les Romains ? "Est-il permis ou non de payer l'impôt à César ?" Il élude en fait la question. Les juifs orthodoxes rejetaient la monnaie romaine précisément parce qu'elle montrait l'image d'un homme. (Matthieu, 22, 17-21).

6) Et l'attitude de Pilate ?
Des juifs exigent de Pilate qu'il juge Jésus et le condamne à mort. Il se montre réticent, mais ils l'y obligent en le menaçant d'alerter César (Tibère à ce moment). Et alors ? Il y a un roi, au moins pour la Galilée, Hérode. Jésus est supposé vouloir la place d'Hérode. Pilate peut préférer Jésus à Hérode, s'il est davantage accepté par le peuple (et aussi coopératif).

7) Trouve-t-on quelque chose confortant cette idée de Pilate envisageant de remplacer Hérode par Jésus ?
Oui. Le procès et la condamnation de Jésus provoquent une réconciliation entre Hérode et Pilate : "Et, ce même jour, Hérode et Pilate devinrent deux amis, d'ennemis qu'ils étaient auparavant." (Luc, 23, 12).

8) Et "Mon royaume n'est pas de ce monde" ?
La citation complète est : "Mon royaume n'est pas de ce monde. Si mon royaume était de ce monde, mes gens auraient combattu pour que je ne sois pas livré aux Juifs. Mais mon royaume n'est pas d'ici." (Jean, 18, 36) Quand il le dit, devant Pilate, ce peut être aussi bien le constat de son échec.

9) Et la résurrection ?
Une crucifixion n'était pas forcément mortelle. Il y a un exemple, dans Flavius Josèphe, d'un crucifié, décloué, et qui survit. Un état de mort apparente qui trompe même des médecins, cela se voit même aujourd'hui.

10) Et les miracles ?
Il est banal que des prodiges soient de plus en plus ajoutés aux histoires concernant des personnages célèbres et vénérés. Dans les Evangiles, la majorité des miracles est racontée brièvement, et on ne signale aucun étonnement, comme si c'était normal. Il y a deux exceptions. La première est la résurrection (voir plus haut). La seconde est la guérison de l'aveugle, dans Jean. Il y a une méthode élaborée
 : "Ayant dit cela, il cracha à terre, fit de la boue avec sa salive, enduisit avec cette boue les yeux de l'aveugle, et lui dit : "Va te laver à la piscine de Siloé" - ce qui veut dire : Envoyé. L'aveugle s'en alla donc, il se lava et revint en voyant clair." (Jean, 9, 6-7). Suit une longue discussion sur le sens de cet événement. Il n'est pas absurde que certaines affections de la cornée puissent être soignées ainsi. Tacite nous apprend que l'empereur romain Vespasien a un jour guéri un aveugle avec sa salive. Bref, les miracles les plus détaillés et circonstanciés dans les Evangiles, ceux dont l'impact allégué est le plus grand, sont aussi les plus faciles à expliquer "rationnellement".

11) Et "Heureux les doux", "Tends l'autre joue", etc. ?
Peut-on soupçonner de visées politiques, au besoin par la violence, quelqu'un qui a prononcé autant de magnifiques et sages paroles allant toutes dans le sens de la paix, du pardon, de la fraternité même avec les ennemis, etc. ? Autre façon de formuler la question : connaît-on des gens capables d'énoncer de façon péremptoire de grands et sages principes moraux, et de ne pas en tenir compte eux-mêmes quand leur intérêt le commande ? La réponse est oui. Ces gens existent et sont bien connus et étudiés par la psychologie. Jésus, tel qu'il se présente dans les Evangiles, ressemble-t-il à ces gens ? Cela demande un développement particulier.