Nouvelles
(les drôles...)
Il
s'agit bien sûr de romans très courts.
Plutôt des
exercices au moins au départ (l'appétit vient en
mangeant) et j'aimerais que l'on
s'intéressât à ceci.
Il y a aussi les grinçantes
et les historiques
(pas drôles par contre...).
|
|||
C’est l’oncle de Sonia mais il ne faut pas compter sur elle, elle le déteste. Tout le monde le déteste, moi aussi je le déteste, il est tellement prétentieux avec sa richesse. Oui, mais quand on lui fait des cadeaux, si minables qu’ils soient, il en fait en retour. Il faut bien qu’il le montre, qu’il est riche, et donc ils sont magnifiques. Enfin, magnifiques selon son goût et donc le plus souvent affreux, mais assez chers pour qu’on puisse les revendre cher. Allons, la première chose qui se présente, et je pourrai passer à la caisse… Aaaaah je
ris !
Maudit
téléphone, il faut que je
change cette sonnerie, l’Air des
bijoux,
pour peu qu’on m’annonce quelque chose de triste,
ce sera encore pire. Il faut
que je mette un air triste à pleurer, l’Air
du Saule par exemple, et j’apprécierai
d’autant mieux une nouvelle joyeuse.
Allo ? Oui Sonia, mais je te l’ai dit trois fois que
j’ai pensé à
toi ! Quoi ? Tu crois que c’est encore le
moment de chercher des
épices pour tes plats ? Enfin, soit, tu as de la
chance, je ne suis pas
encore passé à la caisse, sinon… oui,
j’ai fini. Quoi ? Mais non, rien
pour l’oncle Albert, c’est ta famille, à
toi de voir ! Clic.
Une cravate ! Mais
comment
peut-on proposer quelque chose d’aussi moche,
d’aussi mauvais goût ? Pas
chère, encore heureux. Une seule personne peut la
mériter, l’oncle Albert. Et
hop ! Dans le caddy ! Maintenant, ce maudit paprika,
comme si on ne
pouvait pas réveillonner sans paprika…
Aaaaah
je ris !
Assommant !
Cela fait
rigoler autour de moi ! Et si je mettais plutôt Carmen, l’Air
des Remparts de
Séville ? Plus dynamisant…
Allo ! Maman ! Comment tu n’es
pas encore sortie de tes cadeaux ? Ma pauvre, ce doit
être la cohue !
Pour moi c’est fait depuis longtemps… Non maman,
tu auras la surprise comme tout
le monde ! Quoi ? Si c’est une bonne
idée, une maquette d’avion pour
Kevin ? Mais bien sûr, Maman,
n’hésite pas ! Tu ne devrais
même pas
demander, tu le connais, ton petit-fils ! Quoi
d’autre ? Oui, bien
sûr Maman ! Joyeux réveillon ! Clic. Bien
entendu, le rayon des épices
est très loin de celui du textile, et il faut vraiment se
faufiler. Mais cela
valait la peine de s’attarder, cette cravate, c’est
vraiment ce qu’il mérite,
l’oncle Albert ! Aaaaah je
ris !
Non,
mais, il me faut vraiment
quelque chose à tout casser, tiens, la Chevauchée
des Valkyries, à la fois dynamisant, macabre et
joyeux, l’idéal !
Allo ? Mais oui Papa, Maman vient juste de me le
rappeler ! Joyeux
réveillon ! Clic.
Voici
l’alimentation, encore plus
de monde, je ne suis pas au bout de mes peines. Ils ne savent donc pas,
ces
gens, qu’on n’attend pas le dernier moment pour
composer un réveillon ?
Zoé ! Quelle bonne surprise ! Toi aussi tu
as attendu qu’il y ait un
maximum d’embouteillage ? C’est cette
cravate qui te fait rire ? Elle
n’est pas pour moi, voyons ! D’ailleurs
m’as-tu souvent vu cravaté ?
La cravate, c’est comme l’imparfait du subjonctif,
c’est du passé. Non, c’est
pour un oncle complètement fou, et je trouve que lui,
ça lui va. Mais oui, même
rose avec des éléphants bleus ! Des
éléphants pour un amateur de
porcelaine, tu ne trouves pas que c’est subtil ?
Allez, bon réveillon à
toi !
Le
paprika aura été plus dur à
dénicher que la cravate, mais c’est fait.
J’ose espérer que Sonia ne va plus
rien réclamer. Dernière épreuve,
atteindre une caisse. Ce n’est pas
possible ! Toute la ville doit être ici !
Ah non ! Tous les
casse-pieds du bureau plutôt que lui !
Bonjour
Oncle Albert, alors vous aussi, le dernier moment pour
préparer
dignement ça ? C’est cette cravate qui
vous fait rire ? Mais elle
n’est pas pour moi, je vous rassure. Pardon ? Non,
franchement, Oncle
Albert, vous me faites de la peine ! Comment pourrais-je vous
destiner une
horreur pareille ? Je connais votre goût !
Non, c’est pour une espèce
de… je ne sais pas comment expliquer…
|
|||
Je
suis Attila et Goebbels, et
Néron aussi, et Landru. Non, j’exagère,
Gisèle n’a pas dit ça,
d’ailleurs elle
est nulle en histoire. Mais qu’est-ce que j’ai
pris ! Nos scènes de ménage
s’entendent de loin. Je ne fais rien et je le fais mal. Non,
ça non plus, elle
n’a aucun humour. Je n’ai pas de cœur,
ça oui… enfin, c’est elle qui
l’a dit.
Je n’aurai même pas une BA pour me racheter comme
le Sultan Mourad de Victor
Hugo. Elle n’a aucune culture, seulement je l’avais
récemment placé dans une
conversation de salon, pas spécialement pour elle. Ce sultan
donc,
effroyablement méchant, a fait périr avec plus ou
moins de raffinement son
père, son oncle, ses huit frères, un de ses fils,
et beaucoup d’autres gens et
même des villes et des régions
entières… Il fit un tel carnage avec son cimeterre
Ah
si ! Un escargot !
Un kamikaze qui va rencontrer une mort sans aucune gloire, il
s’est engagé sur
la chaussée. Alors mon petit, on est fatigué de
vivre ? Mais c’était
compter sans moi, je vais te sauver que cela te plaise ou non. Je le
saisis
délicatement par la coquille, bien pratique cette coquille,
pourrais-je sauver
une limace ? Un scout pas très
zélé dirait qu’il a accompli sa BA du
jour.
Voici donc que j’ai sauvé une vie. Qui sauve une
vie sauve toutes les vies,
disent à peu près le Talmud et le Coran. Et
c’est justement ainsi que Mourad,
selon le père Hugo, a in extremis
évité l’enfer, une ultime bonne action
après une vie d’horreurs, et c’est
précisément de ce genre de bonne action que
Gisèle me prétend incapable. Ce
gastéropode
lui clouera le bec quand elle aussi arrivera au Paradis et
prétendra reprendre
son réquisitoire. J’exagère, quand je
rentrerai dans une demi-heure elle sera
tout sourire, comme si rien ne s’était
passé, comme d’habitude. Mais j’aurai
sauvé une vie quand même, aussi bien que Mourad ne
lui déplaise.
Car
Mourad, dans le poème, tout à
la fin, a eu de même pitié d’un
malheureux cochon moribond, déjà
égorgé, en passe
d’être écorché, sous un
soleil implacable. Le terrible Sultan l’a donc,
distraitement, poussé jusqu’à
l’ombre, et l’animal, furtivement, l’a
aperçu,
après quoi, Son regard se perdit dans l’immense
mystère.
Et
Mourad meurt peu après le
pourceau sans avoir eu le temps d’accomplir d’autre
carnage, et voici qu’au
paradis retentissent les plaintes innombrables de ses victimes, Pendant aux pals, cloués aux croix, nus
sur les claies,
Ils
avaient de plus sérieuses
raisons de râler que Gisèle, eux ! Or, il
advint que : Du côté du pourceau la balance
pencha.
Et
donc on lui dit : Viens ! tu fus bon un jour, sois
à jamais heureux.
Bien,
mais je n’ai pas à le
garder avec moi, ce mollusque, ce n’est pas le but. Un
arbuste, bien feuillu,
sans épines, ce sera parfait, juste un mètre
à parcourir dans l’herbe. Le
paradis est vraiment très accessible. Un craquement sous mes pieds. C’est, enfin c’était, un autre escargot. |
|||
D’après
une anecdote très succinctement racontée par
Paul Watzlawick (et présentée comme
réelle, j’ai juste brodé sur les
personnalités et les circonstances).
– Herr Doktor Braun ! Herr Doktor Braun ! Oh ! Je suis impardonnable, je ne voyais même pas quevous conversiez avec Frau Von Katz ! Mais c’est que vous m’avez sauvé la vie ! Le visage courroucé du célèbre médecin fait subitement place à un large sourire. – Alors vous êtes pardonnable au contraire, et pardonné, et restez donc avec nous. Vous allez peut-être m’aider à convaincre Frau Von Katz qui met en doute ce que je lui dis pour son bien. –Herr Doktor, fait l’aristocratique dame d’un air pincé, je vous demande pardon. Je n’ai aucune qualité pour juger de vos capacités, seulement nous nous connaissons depuis dix minutes, dans le cadre d’une soirée mondaine où vous n’êtes pas supposé exercer, et vous vous permettez de m’annoncer quelque chose qui contredit radicalement ce que m’a toujours dit mon médecin. Sachez que mon médecin me suit depuis l’enfance et que je n’ai jamais eu de raison de mettre en doute ses compétences. – J’admets volontiers que sur la forme je suis encore plus coupable que Herr… Herr ? Il se tourne vers l’homme dont il a sauvé la vie. – Hans Bauer, pour vous servir, Herr Doktor. Vous ne vous souvenez donc pas de moi ? – Je suis désolé, Herr Bauer, mais non. Je comprends fort bien que j’aie pu être important pour vous, mais j’en vois tellement ! C’est que voyez-vous, depuis des années mon rôle, et ma réputation, ce qui fait d’ailleurs qu’on m’invite dans des soirées comme celle-ci, se limitent au diagnostic. On m’appelle de tout le pays pour diagnostiquer, seulement diagnostiquer, au point que je dois perdre peu à peu mes capacités pour ce qui est du traitement. Dans votre cas, Frau Von Katz, je vais simplement vous laisser une note pour votre estimable médecin, qui décidera de la suite à donner. Car si vous ne me connaissiez pas lui connaît certainement ma réputation et comprendra. Vous voyez que cela n’engage à rien, et il ne serait pas sage de négliger quelque chose de totalement anodin et facile à éliminer en l’état, mais qui pourrait par la suite évoluer fâcheusement. – Et vous ne vous trompez jamais, demande sarcastiquement la dame ? – Certains de mes chers confrères ont tenté de me piéger, ils n’y sont jamais arrivés… – De vous piéger ?? – Allons voyons, pourquoi serions-nous la seule corporation indemne de toute malveillance et de toute jalousie ? Et la jalousie, croyez-moi, je la suscite souvent. Cela dit, ce n’était pas forcément cela, ils pouvaient, tout comme vous, éprouver de bonne foi des doutes sur mes aptitudes. Et donc, ils m’ont soumis des cas de patients avec des renseignements, disons, subtilement fallacieux. Je m’en suis toujours rendu compte. Mais Herr Bauer va peut-être, si ce n’est pas trop délicat, raconter ce que j’ai pu faire pour lui. – Très volontiers, Herr Doktor. C’était il y a plusieurs années, je me sentais mourir à l’hôpital, on ne me le disait pas mais je le voyais bien aux expressions de mes proches. Je m’affaiblissais, je me résignais peu à peu, je mettais mes affaires en ordre comme on dit. Et puis un des médecins m’a dit qu’ils n’arrivaient décidément pas à comprendre mon mal, que c’était quelque chose de très déconcertant, mais qu’on allait avoir la visite d’un diagnostiqueur de tout premier plan qui allait peut-être découvrir la cause, et dès lors on pourrait me guérir. Vous êtes passé, cela n’a pas duré longtemps et je comprends en effet que vous ne vous en souveniez pas, mais ce fut magique ! Je me demande parfois si ce n’est pas votre parole par elle-même, comme celle de Jésus en somme… – Voyons, Herr Bauer, vous n’êtes pas le seul à vous le demander, mais il ne faut rien exagérer ! – Cette maladie qui déconcertait tous vos confrères, vous lui avez subitement donné un nom, quelque chose de très rare puisque je ne l’avais jamais entendu et ne l’ai pas non plus entendu depuis… – Vous savez, remarque le médecin, quand j’explique quelque chose à des confrères en présence de la personne traitée, je le fais en latin, c’est la tradition de la médecine dans le monde entier. Je me répète, mon rôle, ma spécialité, c’est le diagnostic, et ce n’est même pas à moi de le révéler ou d’ailleurs de le cacher au patient ou à la patiente. Vu la jalousie, encore une fois, que je suscite partout, il serait déraisonnable d’empiéter plus avant sur les prérogatives d’autrui. J’ai cru pouvoir faire une entorse impromptue à la règle pour Frau Von Katz, et vous voyez quels embarras cela soulève. Mais je vous ai interrompu, Herr Bauer, je vous demande pardon. – En l’occurrence, les médecins de l’hôpital n’ont fait qu’arrêter d’un coup les traitements en cours. Peut-être qu’ils me faisaient plus de mal que le mal lui-même… – Cela arrive, un traitement inadapté suite à un mauvais diagnostic peut très bien aggraver les choses. Errare humanum puisque nous parlons de latin. Notre pratique est tellement complexe et tellement truffée de pièges en tous genres ! Mais peut-être vous souvenez-vous de ce nom de maladie ? Hans Bauer s’en souvient parfaitement, il n’est pas près de l’oublier, et donc il le donne. Aussitôt Frau Von Katz éclate de rire, et Herr Doktor Braun se raidit, son visage vire au cramoisi, et sans plus d’explication il les plante là. – Mais enfin, s’exclame le malheureux, je n’ai rien dit de mal ! C’est bien le nom qu’il a donné alors, je m’en souviens parfaitement ! Et vous, pourquoi riez-vous ? – C’est que « moribundus », un Français aurait reconnu « moribond », cela voulait dire que vous étiez mourant et qu’il n’y avait plus rien à faire. |
|||
|
|||